Crée en janvier 2024, l’association APROFED a pour objet de promouvoir le fédéralisme en Nouvelle-Calédonie comme 3e voie et alternative possible au choix proposé depuis 40 ans aux calédoniens, à savoir pour ou contre l’indépendance.
Cette avancée est d’autant plus nécessaire que le statut quo hérité de cette dichotomie n’a eu pour autre effet que de maintenir sous perfusion la situation économique et sociale du pays le plaçant avec des taux d’importations de 85% dans le secteur agricole, 90% dans le secteur des produits manufacturés (hors Nickel) et plus de 60% au niveau de la main d’œuvre qualifié, dans une situation voulue de forte dépendance vis-à-vis de la métropole, mettant ainsi son avenir en péril s‘il venait à choisir une autre voie que celui du maintien au sein de la France.
Le contexte :
Lorsque la France prend possession de la « Nouvelle-Calédonie », le 24 septembre 1853, elle s’approprie, comme le stipule le préambule des accords de Nouméa1, un territoire qui n’était pas vide. Celui-ci étant habité, depuis près de 3 000 ans, par des hommes et des femmes que l’on nomme aujourd’hui “Kanaks”. Le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable envers ceux-ci. Spoliés de leurs terres, massacrés puis déplacés en masse en vue d’être parqués dans des réserves indigènes, les kanaks ont vu leur organisation sociale en être bouleversée. Repoussés aux marges géographiques, économiques et politiques de leurs propres pays, de grandes souffrances en ont réexultées. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leurs vies ou leurs raisons de vivre. Bien qu’estimé à plus de 80 000 individus lors de la découverte par le Capitaine Cook, en 1921 les kanaks ne comptaient plus que 15 621 personnes2.
La situation semble néanmoins s’améliorer au sortir de la 2e Guerre Mondiale. Plusieurs réformes sont adoptées tant en Nouvelle-Calédonie que dans les autres colonies de l’empire français, amenant par exemple la suppression du code de l’indigénat et ainsi l’octroi de se déplacer à nouveau librement, la fin du travail forcé, l’extension de la citoyenneté aux anciens indigènes et donc l’accès au droit de vote, etc.
En 1953, les kanaks créent même un mouvement politique, issu de 2 associations socio-confessionnelles que sont l’UICALO3 (catholique) et l’AICLF4 (protestante), nommé Union Calédonienne (UC) qui en 1959 regroupe pour moitié de ses membres5, des européens, désireux de plus d’égalité mais aussi de liberté de gestion de la Nouvelle-Calédonie, devenue Territoire d’Outre-Mer (T.O.M) en 1946, face à un Etat français omniprésent. Apparaît dès lors le terme d’autonomie.
Autonomie de gestion qu’accordera l’Etat Français à ses anciennes colonies d’outre-mer, le 23 juin 1956, avec la loi cadre “DEFFERRE”.
Ensemble, kanaks et européens, dirigeront pendant plus de 20 ans, les institutions du pays comme le Conseil général devenu par la suite Assemblée territoriale (pouvoir législatif) ainsi que le Conseil de gouvernement (pouvoir exécutif).
L’arrivée au pouvoir en Métropole du général De Gaulle marque un tournant. En effet, le gouvernement gaulliste opère, face aux revendications indépendantistes émanant de ses colonies, une politique de recentralisation.
Le gouvernement français adopte ainsi, le 21 décembre 1963, la loi « Jacquinot » qui enterre la décentralisation et réduit considérablement les pouvoirs de l’exécutif territorial. Le 3 janvier 1969, avec les lois « Billotte », l’Etat reprend en main le contrôle de la recherche minière dont il fait une priorité. Ainsi, les lois « Jacquinot » et « Billotte » symbolisent le retour à la centralisation. Elles viennent renforcer les pouvoirs de l’Etat et de son représentant sur le Territoire. Le conseil de gouvernement n’a plus qu’un rôle consultatif. L’assemblée locale se voit retirer quasiment toute autorité. De 1957 à 1969, nous sommes passés de la centralisation à une gestion des affaires territoriales par le territoire (autonomie) pour revenir en 1969 à une gestion des affaires par la France (retour de la centralisation).
Alors qu’aucune revendication indépendantiste n’est encore apparue en Nouvelle-Calédonie, ces lois, perçues comme des trahisons de l’Etat Français et du général De Gaulle, vont tout changer.
En juillet 1975, le Parti de Libération Kanak (Palika) est crée. Ce mouvement politique militant pour l’indépendance résulte de la fusion de 2 groupes d’extrêmes gauches fondés au lendemain de mai 68 que sont “les foulards rouges” et “le groupe 1878”. C’est alors l’une des premières formations politiques créées dont le but officiel est l’indépendance. Ses positions sont radicales, appelant à l’émancipation par la lutte.
Le 22 novembre 1977, l’UC lors de son congrès politique réuni au niveau de la commune de Bourail, adopte également la ligne de l’indépendance provoquant le départ de la majeure partie des européens maintenant toujours pour leurs parts la ligne autonomiste.
L’UC participera en 1984 à la création du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS), mouvement politique dont le nom rappelle celui utilisé par les algériens dans le cadre de leur lutte pour l’indépendance.
En 1981, l’élection du président socialiste François Mitterrand suscite un espoir de la part des indépendantistes pensant que celui-ci leur accordera l’objet tant convoité de leurs revendications, à l’instar de leur voisin le Vanuatu devenu indépendant en 1980. Ce “fol espoir” comme le qualifie Maurice Lenormand6 est d’autant plus étonnant qu’en 1954, François Mitterrand, alors ministre de l’intérieur de centre gauche, proclamait concernant une autre colonie qu’est l’Algérie : “L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne.”7
Plutôt que l’indépendance, l’Etat Français propose un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie.
Cette énième désillusion ou “promesse”8 non tenue débouchera en 1984 par la période appelé : “les évènements” qualifiée par certains comme une guerre civile et la volonté pour les indépendantistes d’acquérir leur souveraineté que leur refuse la France autrement malheureusement que par les armes. Le conflit qui s’étendit jusqu’en 1988 fit selon un bilan partiel publié par le haut-commissariat de la république française en Nouvelle-Calédonie près de 50 bâtiments et maisons en dur incendiés, 100 cases brûlées, 200 magasins détruits, 2 ou 3 hélicoptères abattus, près de 5 milliards de francs CFP de dégâts, plusieurs villages détruits ou abandonnés, 2 500 à 3 000 réfugiés à Nouméa ayant souvent tout perdu et surtout près de 80 morts, 150 à 250 blessés graves et 25 viols, selon le décompte effectué par l’historien Bernard Brou.9
2 accords de paix viendront clore ce triste chapitre que certains estiment qu’il aurait pu être évité. En 1988, les Kanaks et non-kanaks acceptent ainsi les accords de paix de Matignon entérinés par la France puis ceux de Nouméa, 10 ans après, manifestant la volonté de tourner la page de la violence, trouver l’apaisement et travailler ensemble.
Mais les kanaks n’ont pas dit qu’ils renonçaient à l’indépendance. Bien au contraire, en 2024, 40 ans après la période tragique des “évènements”, il semblerait que les 2 accords de paix ne furent tout au plus qu’une parenthèse, renvoyant à nouveau dos à dos le peuple colonisé et la France, laquelle n’a toujours aucune envie de donner l’indépendance à la Nouvelle-Calédonie qui pourrait par effet domino amener les derniers restes de l’empire français à vouloir s’émanciper à leurs tours10 11. Le 3e referendum, pour ou contre l’indépendance, tenu en Nouvelle-Calédonie en 2021 et boycotté par la moitié de la population que sont les kanaks, annonçant qu’ils n’en “respecteront pas le résultat”, a démontré que la sortie des accords de Nouméa s’était opérée sur fond de rupture de dialogue entre l’Etat et les indépendantistes12. Cette cassure mettant à nouveau en péril la paix fragile entre les communautés du Territoire, nous amenant peut-être […] aux prémices de nouvelles révoltes13, notamment pour l’année 2024, comme le suggère Luc Tournabien, dans son ouvrage paru en 2023 intitulé : « Kanaky Nouvelle-Calédonie, 40 ans d’émancipation … pour mieux recoloniser ».
Notre objectif :
Face à cette situation, l’association APROFED a donc cherchée à trouver une solution.
C’est dans le monde anglo-saxon que l’association a trouvé la solution, à savoir : le fédéralisme.
Le fédéralisme s’avère être non pas une solution, mais la solution si ce n’est la seule solution permettant de regrouper l’ensemble des visions proposées à ce jour par les différentes composantes politiques concernant l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Cette notion de fédéralisme permet en effet d’associer à la fois “unité nationale” et “diversité culturelle” dans un pays composé de plusieurs groupes ethniques, linguistiques, religieux, … distincts.
Ce concept “d’unité dans la diversité” est allé jusqu’à devenir la devise même de plusieurs nations14 ou supra-nations comme l’union européenne qui bien que cette dernière relève d’un statut dit “sui generis” (spécifique) ressemble fortement à une des différentes formes de fédéralisme qu’est la confédération.
On compte aujourd’hui 28 états15 ayant opté pour le fédéralisme au niveau mondial, rassemblant près de 40% de la population du globe dont 6 sont en Europe, 7 en Amérique, 8 en Afrique, 5 en Asie et 2 dans le pacifique que sont l’Australie et la Micronésie.
Toujours dans le Pacifique, le statut de la Nouvelle-Calédonie ou encore de la Polynésie française tendent à qualifier la France pour certains d’ores et déjà d’Etat fédératif16.
Nombreuses sont les nations qui ont adoptées cette notion de fédéralisme lors de leurs processus de décolonisation. C’est le cas notamment des Etats que l’on nomme “pays neufs” comme les Etats-Unis (à l’origine du concept de fédéralisme au sens moderne), le Canada, l’Australie, le Brésil, … qui sont par ailleurs les pays détenant aujourd’hui les PIB par habitant les plus importants. 5 de ces états fédéraux font même partis du top 10 des premières puissances économiques mondiales. 4 d’entre eux font également partis du G8 qui constitue un club qui réunit annuellement les chefs d’Etat ou de gouvernement des pays les plus industrialisés au monde.
C’est pourquoi, l’association APROFED milite aujourd’hui pour l’adoption du fédéralisme en Nouvelle-Calédonie et la création de facto d’un état fédéré calédonien afin de mettre fin au statut quo actuel et avancer sur un nouveau projet en commun entre kanaks et non-kanaks.
1 MAGI-NC (gouv.nc)
2 Décolonisation ratée, indépendance avortée – Persée (persee.fr)
3 Union des Indigènes Calédoniens Amis de la Liberté dans l’Ordre
4 Association des Indigènes Calédoniens et Loyaltiens Français
5 La décolonisation sans l’indépendance ? | Cairn.info
6 Décolonisation ratée, indépendance avortée – Persée (persee.fr)
7 19 mars : quand François Mitterrand déclarait, «l’Algérie, c’est la France…» (lefigaro.fr)
8 BROU Bernard, 2002, Nos lendemains chanteront-ils? La Nouvelle-Calédonie de 1957 à 1999, 335p – cf.p128 – la lettre de “promesse”.
9 Idem – cf p.296 à 299.
10 Comme ce fut le cas avec le Vietnam et la perte de l’ensemble des colonies française d’Asie ou bien encore de la Guinée pour ce qui concerne celles d’Afrique.
11 La Nouvelle-Calédonie […] est un verrou. Il faut se battre à l’ONU. Nous sommes décidés à nous y maintenir car c’est le verrou de l’Outre-Mer … Bernard Pons, Ministre de l’Outre-Mer, 1986
12 Groupe d’experts de l’ONU pour la consultation référendaire du 12 décembre 2021 en Nouvelle-Calédonie, Rapport de mission, janvier 2022
13 Chaque siècle, depuis sa prise de possession, la Nouvelle-Calédonie a connu une révolte armée de la part du peuple premier : 1878 pour le XIXe siècle puis 1917 et 1984 au XXe siècle.
14 Devise adoptée en Afrique du Sud, Indonésie et Papouasie Nouvelle-Guinée
15 Les fédérations dans le monde (ulaval.ca)
16 Fédéralisme — Wikipédia (wikipedia.org)