ONU : une institution à réformer sur le modèle fédéral

ONU : une institution à réformer sur le modèle fédéral
27 février 2024

ONU : une institution à réformer sur le modèle fédéral

L’ONU est-elle en état de mort cérébral ?1

Voici la question posée par un grand nombre de revues et quotidiens en 2022 et 2023 suite au déclenchement du conflit russo-ukrainien faisant le parallèle avec la formule maintenant passée à la postérité du président français Emmanuel Macron en 2019 lors d’un entretien pour l’hebdomadaire The Economist concernant l’OTAN.

Face à l’agression russe contre l’Ukraine et le conflit israélo-palestinien, tous les deux toujours en cours en 2024, l’ONU ne parvient pas à prendre les mesures nécessaires pour rétablir la paix et la sécurité internationales. Une telle violation de la charte de San Francisco à l’origine de l’institution en 1945 aurait dû en effet entraîner une réaction collective forte. Or, le conseil de sécurité, son organe principal, est une fois de plus paralysé par le jeu des vétos, que de nombreux pays ont tenté d’abolir sans succès car remettant en cause l’adage onusien : “un Etat, une voix”.

Il convient en effet de rappeler que l’ONU devait à sa création instaurer un concert égalitaire des Etats. Or, dès le départ, le rôle spécifique confié aux 5 vainqueurs de la 2e GM que sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’URSS et la Chine, nommés en tant que membres permanents d’un conseil de sécurité et dotés d’un droit de véto pouvant bloquer à tout instant les décisions contraires à leurs intérêts ou à ceux de leurs protégés, amena ainsi des Etats moins égaux de qu’autres. Le système onusien apparaissant au fil du temps de plus en plus en décalage avec les réalités du monde marqué par le retour des rivalités entre grandes puissances.

Or, ces tensions géopolitiques éloignent davantage les pays en développement des efforts menés par l’occident les rapprochant du groupe des BRICS2 et du nouvel ordre mondial, multipolaire, souhaité par la Fédération de Russie et son président, en leur donnant à nouveau l’espoir de la réalisation de certains de leurs intérêts3, comme ce fut le cas avec le “tiers-mondisme”4, notion inventée en 1955, ou le “Sud global” au début des années 1980 qui désignait les pays pour la plupart colonisés ou anciennement colonisés qui attribuaient le “sous-développement” du Sud à la domination coloniale qui se prolongeait, malgré les indépendances, sous différentes formes, tel par exemple la “françafrique”5. En septembre 2023, un sommet, nommé G77, groupe formé au sein de l’ONU, a contrario des G7, G8 ou bien encore G10 qui représente les nations les plus riches et industrialisées, s’est tenu à Cuba avec une centaine de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine afin de réclamer un ordre international moins “injuste”.

Cette injustice se retrouve également pour les territoires non autonomes, comme la Nouvelle-Calédonie, toujours présents au sein de la liste des territoires encore non décolonisés établie par l’ONU dès sa création. Si ces territoires ainsi que les nouveaux Etats, hier encore colonisés mais aujourd’hui indépendants font pression sur les 3 derniers Etats détenteurs de colonies que sont la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, la position suprême de ces derniers au sein du conseil de sécurité fait que malgré les appels incessants des différents secrétaires généraux, de l’Assemblée générale et du comité spécial de décolonisation, la situation demeure au point mort depuis bientôt 30 ans. Il est à noter qu’aucun des 3 Etats mentionnés ci-avant ne sont membres de ce comité6. Les gestes concrets se faisant plus rares. L’ONU restant discrète7. Il faut dire que les territoires d’outre-mer, même petits, peuvent avoir une grande importance stratégique. Il convient aussi de rappeler que la déclaration anticoloniale des résolutions 1514 et 1541 de 1960 combinait l’affirmation du droit universel à l’autodétermination et une autre selon laquelle « l’unité nationale et l’intégrité territoriale » des nations devaient être respectées, impliquant que dans le processus de décolonisation, le droit à l’autodétermination ne pourrait s’exercer que s’il ne viole pas « l’intégrité territoriale » d’une entité nationale. Ainsi, les objectifs ambitieux de l’ONU se heurtent bien souvent avec certains de leurs principes comme l’intégrité territoriale des Etats et la défense de leur souveraineté.

Le cas de l’archipel des Chagos, dans l’océan indien, en est un exemple. Colonisé par les français, cédé aux britanniques à l’issue des guerres napoléoniennes puis mis à disposition des Etats-Unis à partir des années 1960, pour une durée de 50 ans, l’archipel demeure à ce jour un territoire britannique d’outre-mer. En 2019, l’Assemblée générale de l’ONU adopte une résolution demandant au Royaume-Uni de rétrocéder à l’île Maurice qui le revendique, l’archipel des Chagos. Le Royaume-Uni ne se conforma pas à cette résolution, ni à l’avis consultatif formulé par la Cour Internationale de Justice (CIJ) demandant à Londres de mettre fin “dans les plus brefs délais” à son administration des Chagos8. Cette institution estimant que le Royaume Uni a “illicitement” séparé l’archipel des Chagos de l’île Maurice après son indépendance vis-à-vis de l’Angleterre en 1968. Comme ce fut le cas avec la France pour Mayotte lors de l’indépendance des Comores, pour les îles éparses après celle de Madagascar et qui faillit être le cas pour l’île de Santo lors de l’indépendance du Vanuatu. Ce dernier avec l’aide de la Papouasie Nouvelle-Guinée arrêta et expulsa pour sécession entre 1 000 et 2 000 français et soutiens vanuatais vers la Nouvelle-Calédonie.

Face à cette gouvernance mondiale en panne, l’ONU doit faire l’objet d’une réforme structurelle. Un premier sommet onusien sur le sujet fut organisé dès 2005. Deux priorités ont été mises sur la table, à savoir d’une part l’élargissement de son conseil de sécurité avec l’intégration de nouveaux membres permanents (Inde, Japon, Nigéria, Afrique du Sud, Allemagne, Brésil) afin de mieux coller à l’état du monde et de l’autre une réforme du droit de véto, qui pourrait être suspendu dans le cas de génocide, de crimes contre l’humanité massifs ou bien encore pour les pays s’affranchissant des règles premières de la Charte. Ces réformes pour l’heure bloquées sont restées des vœux pieux.

Outre le droit de véto, la principale réforme est celle du conseil de sécurité. Composé de 15 membres, 10 élus et 5 permanents, il constitue l’organe décisionnel des Nations Unies. Celui-ci a un rôle majeur, notamment dans la résolution des conflits. Il vote des résolutions qui peuvent proposer des arbitrages et dire le droit. Il peut décider de sanctions contre un État ou encore de l’envoi de Casques bleus dans des opérations de maintien de la paix. Toutes les autres institutions onusiennes tournant autour de ce conseil, qui constitue le cœur de l’organisation.

Or, après étude, il apparaît au niveau mondial que se dessinent 15 grands ensembles se répartissant sur une surface territoriale quasi identique avec une moyenne de près de 9.2 km². Certains de ces ensembles sont déjà présents au sein du conseil comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie9, l’Union européenne.10 A ceux-ci, il conviendrait d’intégrer le Canada, le Brésil, puis ensuite des représentants des autres ensembles constitués en supra nations indiquées sur la carte ci-dessous avec :

– 1 représentant pour l’Amérique centrale et Caraïbes,

– 1 représentant pour le reste de l’Amérique du Sud,

– 1 représentant de la Ligue Arabe,

– 1 représentant de l’Afrique subsaharienne,

– 1 représentant des pays Bantous,

– 1 représentant de l’Asie centrale,

– 1 représentant pour l’Asie du Sud-Est,

– 1 représentant pour l’Océanie,

– et enfin un dernier représentant afin d’obtenir le 15e membre qui serait dédié au pays dit de Canaan composé des Etats d’Israël, de Palestine et du Liban, lesquelles regroupent aujourd’hui les religions de près de 4 milliards de croyants.

L’ensemble de ces membres seraient des membres permanents, réglant en partie le problème d’injustice mentionné ci-avant.

Si les Etats-Unis, le Brésil, le Canada, la Chine, l’Union européenne sont déjà clairement identifiables, les organisations supranationales11 ou internationales dans lesquelles se trouvent certains des autres Etats permettraient une désignation de leurs représentants assez rapidement.

Pour l’Océanie, cela serait possible grâce au Forum des îles du Pacifique (FIP) par exemple. La Ligue arabe existe déjà. Pour l’Amérique centrale et les Caraïbes, la communauté caraïbéenne (CARICOM) et le système d’intégration centraméricain (SICA) permettraient de désigner un représentant. Pour l’Asie centrale, cela serait l’organisation de coopération économique (ECO). Pour l’Asie du Sud-Est, ce serait l’association des nations de l’Asie du sud-est (ASEAN), la coopération du Mékong-Gange (CMG) et le Bay of Bengal Initiative for Multisectoral Tchnical Economy (BIMSTEC). Pour les pays Bantous, la communauté de développement d’Afrique australe (CDAA) et la communauté des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC). Pour l’Afrique Subsaharienne, la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Enfin pour le représentant d’Amérique du Sud, la communauté andine des nations (CAN), le Forum pour les pays de l’Amérique du sud (PROSUR), le marché commun du sud (MERCOSUR) et l’union des nations sud américaines (UNASUR).

Il est intéressant de constater que la majorité des membres déjà existants au sein du conseil relève de structures fédérales. Il conviendrait aux autres grands ensembles de s’inspirer de celles-ci en vue de régler l’injustice citée ci-avant et de rééquilibrer les forces en présence au niveau mondial.

Il convient de rappeler que l’ancêtre de l’ONU, à savoir la Société Des Nations (SDN), crée en 1920, sans moyens d’actions et ayant beaucoup de difficultés à produire des décisions, fut inaudible lors des montées en tensions pendant les années 1930, n’empêchant pas la 2e GM, ce qui l’amena à être remplacée par l’ONU en 1945. Si une nouvelle guerre froide est entrée en vigueur avec le conflit russo-ukrainien, il conviendrait d’éviter une 3e GM en vue d’appliquer les principes de base de l’ONU cités ci-dessus visant à instaurer une réelle égalité entre tous les Etats, regroupés pourquoi pas en fédération.

Le problème étant que la Charte des Nations unies prévoit que toute modification des statuts doit d’abord passer par un vote en Assemblée générale. Les 2/3 au moins des États et 9 membres sur 15 du Conseil de sécurité doivent décider de la tenue d’une Conférence générale des Nations unies. Les propositions de réforme faites par cette instance doivent ensuite être approuvées par les 2/3 des États membres et par les cinq pays qui disposent aujourd’hui d’un droit de véto. Il est très difficile d’espérer y arriver.

 

9 La Fédération de Russie ayant pour ses régions situées à l’Ouest de l’Oural été intégré à l’Union Européenne reprenant la phrase du Général de Gaulle dans son discours de Strasbourg de 1959 évoquant “l’Europe, de l’atlantique à l’Oural”.

10 L’union européenne étant pour l’heure représentée au conseil de sécurité par la France.