L’exemple des Iles Cook
Nombre d’experts, tels que Guy Agniel, professeur de droit public à l’université de la Nouvelle-Calédonie , décédé en 2016, ont proposé comme solution à la problématique institutionnelle que connaît le territoire un schéma très clairement affiché comme inspiré de l’exemple des Iles Cook1 qui serait particulièrement adapté à la problématique calédonienne.
Situées au Sud Ouest de l’Océan Pacifique, les Iles Cook forment un Etat, depuis 1965, quelque peu particulier car dit associé (non fédéré) ou en libre association avec la Nouvelle-Zélande ; statut que certains indépendantistes non seulement calédoniens mais aussi polynésiens2 souhaiteraient voir appliquer à leurs territoires et à leurs relations avec la France.
Les Iles Cook bénéficient en effet depuis la rédaction de leur constitution, le 4 août 1965, d’une très large autonomie vis-à-vis de la Nouvelle-Zélande. Elles ont la complète responsabilité pour gérer leurs affaires internes. La défense, la monnaie et les affaires étrangères (compétences régaliennes) étant gérées par la Nouvelle-Zélande.
Bien que reconnu par l’Organisation des Nations Unies (ONU), les Iles Cook n’en sont pas membre. Elles sont d’ailleurs reconnues au sein de cette institution depuis 1994 comme un “Etat non-membre” ne disposant pas ainsi de siège au sein de l’assemblée générale.
Ce schéma coïncide avec celui d’Etat Fédéré proposé par l’association APROFED dans sa solution n°1 avec la France qui, rappelons le, est avec l’Etat associé, les 2 seules solutions institutionnelles selon l’ancien Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas pour la Nouvelle-Calédonie3.
Alors pourquoi l’exemple des Iles Cook et ce principe d’Etat-associé sont-ils rejetés par les non indépendantistes?
L’explication vient en partie du contenu de la définition d’Etat-associé résultant d’une mauvaise traduction et interprétation de l’anglicisme lui correspondant à savoir pour les Iles Cook : “self-government in free association”.
L’Etat-associé correspond, pour les français, à un Etat souverain et indépendant ayant signé une convention de partenariat (dite libre association) avec un Etat généralement plus grand ou plus peuplé auquel il est associé. Par cet accord, l’un des deux partenaires délègue à l’autre certains pouvoirs qui relèvent normalement de sa souveraineté, le plus souvent la défense et les affaires étrangères4, correspondant à la notion de “protectorat” ou “d’Etat-protégé”.
Or le self-government, dans le monde anglo-saxon, désigne un système politique dans lequel un territoire dépendant (ex : Iles Cook) d’un Etat souverain (ex : Nouvelle-Zélande) dispose d’une grande autonomie pour gérer ses affaires intérieures mais n’est pas indépendant.
Bien que les Iles Cook ont été qualifiées d’indépendantes en 1965 avec la promulgation de leur constitution, faisant penser à l’émergence d’un Etat-nation, il n’en demeure pas moins qu’elles demeurent un territoire rattaché à la Nouvelle-Zélande.
La résolution 1541 de l’ONU de 1960 mentionnant entre autres la notion de “libre association” ne stipule en aucune manière que le territoire non-autonome désireux de choisir cette voie doit avant tout être indépendant. La seule obligation émise par l’assemblée étant dans son principe VII sur le fait que la libre association doit résulter d’un choix libre et volontaire des populations du territoire en question, exprimé selon des méthodes démocratiques et largement diffusées. Elle stipule en outre que les populations du territoire qui s’associent à un Etat indépendant doivent conserver la liberté de modifier le statut de ce territoire et que le territoire associé doit avoir le droit de déterminer sa constitution interne, sans ingérence extérieure.
Ainsi, comme le précise Geneviève Koubi, l’Etat-associé n’est pas synonyme d’indépendance. En effet, un pays peut gérer certaines compétences régaliennes d’un Etat, sans pour autant être indépendant5, d’où la proposition de Guy Agniel de faire de la Nouvelle-Calédonie : un Pays d’Outre-Mer Associé (POMA).
Pour Guy Agniel, le « POMA » a vocation à exercer en autonomie de nombreuses compétences, tout en insistant sur l’unicité de la compétence internationale (ex: diplomatie), devant être réservée à l’État.
Le cas de l’Algérie, autre colonie de peuplement française, peut expliquer le rejet par les non indépendantistes du statut d’Etat-associé.
En effet, le 5 juillet 1962 est déclarée l’indépendance de l’Algérie. Par référendum, la population s’est prononcée à 99.72% en faveur de l’indépendance. Le général De Gaulle réagit quelques jours plus tard annonçant que le peuple algérien s’est prononcé pour l’indépendance de l’Algérie coopérant avec la france6.
Au travers des accords d’Evian, le général de Gaulle souhaitait en réalité que l’Algérie indépendante demeure associée à la France via une période transitoire de plusieurs années. Si les algériens signent les accords d’Evian, une fois l’indépendance proclamée, ils couperont de façon définitive tous liens avec la France, assumant eux-mêmes leur destiné (souveraineté).
La peur d’un bis repetita du scénario algérien en Nouvelle-Calédonie explique l’opposition farouche des non indépendantistes à toute notion d’indépendance-association ou d’Etat-associé dès lors que ce dernier viserait à la création d’un Etat indépendant en Nouvelle-Calédonie mais qu’en est-il si cet Etat-associé demeurerait non souverain comme les Iles Cook?
Il convient ici de rappeler brièvement l’histoire de ces dernières assez proche de celle de la Nouvelle-Calédonie.
Annexée en 1900 par la Nouvelle-Zélande, la situation des Iles Cook connaît comme pour la Nouvelle-Calédonie une nette amélioration après la 2nd guerre mondiale, où en 1946, ses habitants purent élire leur propre conseil législatif et participer davantage à l’administration de leur archipel7. Pour rappel, en 1890, les chefs de Rarotonga (plus grande île des Iles Cook) avaient déjà crée un Conseil général (gouvernement central) et l’année suivante créèrent la première législature de l’île de type fédérale. Ainsi, en 1893, soit 7 ans avant l’annexion par la Nouvelle-Zélande, est créée la Fédération des Iles Cook avec son propre drapeau (cf. Histoire des îles Cook — Wikipédia (wikipedia.org)).
Au cours des années 1960, le mouvement de décolonisation qui balayait le monde atteignit aussi l’Océanie, ce qui incita le gouvernement à accorder aux Îles Cook un statut d’Etat-associée (self-government) en instaurant une nouvelle constitution. Ce statut particulier leur permet d’obtenir une très large autonomie politique vis-à-vis de la Nouvelle-Zélande et ainsi de recevoir une aide financière annuelle en vue de la faire fonctionner. Les insulaires sont automatiquement citoyens néo-zélandais. Toutefois, une citoyenneté particulière des Iles Cook a été définie. Ses habitants ont un droit préférentiel, notamment au niveau du travail, de la propriété, etc. Ce droit n’est pas accordé réciproquement aux nationaux néo-zélandais réglant implicitement la question des flux migratoires. Depuis 2001, les Iles Cook peuvent également nouer des relations avec la communauté internationale et ainsi gérer la conduite de leurs affaires étrangères. La monnaie se répartie entre le dollar des Iles Cook et le dollar Néo-zélandais. Les Iles Cook bénéficiant ainsi des avantages de l’indépendance sans les inconvénients de l’être réellement. Et bien que cette notion d’indépendance décrive l’archipel depuis 1965 voire 2001, la reconnaissance de celle-ci par les Etats-Unis en 20238 , sur fond de tensions avec la Chine, montre bien que l’archipel n’est en réalité en rien un Etat indépendant mais bel et bien encore un Etat non souverain. Situation ayant suscité d’ailleurs en 2008, une tentative de coup d’Etat par les membres de la chambre des Ariki (chefs coutumiers) qui tentèrent de dissoudre le gouvernement pour reprendre le contrôle du pays. Dix jours plus tard, la situation se normalisa et les chefs retournèrent à leurs tâches habituelles, dénotant comme pour le territoire de Porto-Rico vis-à-vis des Etats-Unis que le statut d’Etat associé n’est peut-être pas l’idéal, tout comme l’Etat fédéré, mais qu’ils présentent néanmoins tout deux plus d’avantages que de demeurer dans le statut quo actuel.
De là, il demeure étonnant que les non indépendantistes calédoniens restent réfractaires à cette notion d’Etat-associé, pur produit de l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle, qui puise ses racines dans la volonté des Nations Unies de créer une voie de décolonisation intermédiaire, voire alternative, à l’indépendance et/ou à l’intégration à un Etat préexistant9.
1 DAVID Carine, 2020. L’Océanie dans tous ses Etats. Mélanges à la mémoire de Guy Agniel. Revue juridique et politique et économique de Nouvelle-Calédonie (RJPENC), 314 p. (cf. Just a moment… (rjpenc.nc) )
2 CHAUCHAT Louise & Mathias, 2020, Le sens du “Oui”, Essai, 296p.
6 ImagesDéfense – Indépendance de l’Algérie : un nouveau chapitre entre joie et tristesse (imagesdefense.gouv.fr)