Le Fédéralisme dans l’histoire de France

Le Fédéralisme dans l’histoire de France
21 février 2024

Le Fédéralisme dans l’histoire de France

 

Bien que d’origine anglo-saxonne, la notion de fédéralisme est déjà connue en France à l’époque de la Révolution française où des députés nommés les “Girondins” en font déjà la promotion prenant exemple sur des pays l’ayant déjà mise en œuvre comme la confédération helvétique (suisse) ou bien encore les tous nouveaux Etats-Unis d’Amérique.

En 1791, au sein de l’assemblée nationale législative, 2 courants s’opposent parmi les députés quant à l’organisation du pouvoir au sein de la future 1ere République1 en construction. D’un côté les jacobins ou Montagnards, soutenus par les sans-culottes et Robespierre, partisans d’un système centralisé au sein duquel les décisions politiques et administratives seraient prises par une autorité unique. De l’autre, les Girondins plaidant pour un gouvernement fédéral, constitué d’entités territoriales fortes articulées autour d’un Etat souverain2.

Si dans le chaos de la Révolution et du changement de régime cette idée fait son chemin allant même jusqu’à ce que des fêtes annuelles dites de la Fédération soit célébrées à Paris auxquelles assistés les délégués de tous les départements, resserrant les liens entre les provinces et la capitale, malheureusement cela ne suffit pas à empêcher la lutte d’éclater entre les 2 partis, aspirant à orienter la révolution et à présider par la suite le destin de la France.

Bien que les fédéralistes prônaient une autonomie des provinces, les montagnards proclamèrent en 1793, l’unité et l’indivisibilité de la République renversant le parti fédéraliste, accusant les girondins de vouloir démembrer la France. 45 députés girondins trouveront ainsi la mort, de même que 1 500 citoyens faisant la promotion de ce concept. Les autres députés girondins étant exclus de la vie politique. Un gouvernement centralisé vit ainsi le jour marquant durant 2 années (1793-1794), le début de la période dite de la “Terreur”.

Les girondins rappelant que les fédéralistes lors de la révolution américaine défendaient également le principe d’Etat central, démontrant que les 2 notions pouvaient coexister.

Pour certains, le rejet français du fédéralisme s’explique avant tout par le manque de modèle républicain alors disponible (cf. Les revendications des peuples autochtones de Guyane appréhendées par le droit français: entre évolutions, conciliations et aménagements (cnrs.fr)). A cette époque, la France n’avait d’exemple républicains que des modèles fédéraux. Ainsi, lorsque la Première République est proclamée, la crainte d’une division du pays se renforçant, la France adopte alors les principes d’indivisibilité et d’unité, arboré encore au XXIe siècle face aux autonomistes de la République, pour lesquelles l’Etat ne laisse bien souvent que 2 choix, à savoir : l’intégration (ou assimilation) ou l’indépendance.

Un siècle plus tard, en 1871, les « communards » réclament eux-aussi une république fédéraliste, démocratique et sociale revendiquant au travers d’une autonomie des communes de France, une plus grande liberté administrative. Lors de la bataille finale de la Semaine sanglante, le 28 mai 1871, des centaines de communards sont tués au combat. 20 000 sont exécutés sommairement par l’armée. 36 000 sont arrêtés, 4 500 emprisonnés et 7 500 sont déportés principalement en Nouvelle-Calédonie (cf. Communard — Wikipédia (wikipedia.org)).

Au début du XXe siècle, différents mouvements régionalistes français se regroupent dans la Fédération régionaliste Française, crée en 1900, par Jean-Charles Brun, pour prôner la décentralisation et l’organisation de la France en régions3. Confronté à des accusations de séparatisme, ce mouvement se limitera au secteur culturel, mettant en avant les cultures et traditions des régions. Les régions seront créées sous leur forme actuelle à partir de 1956, acquérant un statut de collectivité locale en 1982 pour être inscrit dans la constitution en 20034.

Au sortir de la seconde guerre mondiale (1945) et face aux velléités d’indépendance de ses colonies, la France évoque un potentiel projet fédéraliste. Nait alors l’Union Française qui jusqu’en 1958, constituera la nouvelle organisation politique entre la France et son empire colonial. Malheureusement, bien que présentant des principes dignes d’un système fédéral, la France conservera l’ensemble des pouvoirs exécutifs et législatifs ne laissant aux colonies que la faculté d’émettre un avis. L’égalité entre tous les citoyens, coloniaux et métropolitains, n’ayant pas de réalité concrète. Cet écart entre la théorie et la pratique discrédita ainsi l’Union Française. Plusieurs Etats quittent l’Union comme le Vietnam et le Cambodge. D’autres Etats tels le Maroc et la Tunisie n’ayant jamais accepté d’adhérer à l’Union. Cette dernière sera finalement remplacée par la Communauté française avec l’avènement de la cinquième république en 1958 et le retour du général de Gaulle au pouvoir.

La Communauté française, proposée par le général de Gaulle, s’inscrira malheureusement dans la continuité de l’Union française. Si les colonies africaines ne refusent pas dans un premier temps la Communauté, qui leur ouvre le statut d’Etat, l’égalité demeure une illusion. La souveraineté de ses membres étant restreinte. La France, outre les compétences régaliennes (diplomatie, défense, monnaie, …), continue de conserver la maîtrise en matière de politique économique et le contrôle des matières premières, ce qui est jugé inadmissible par les Etats de la Communauté.

Cette Communauté s’inspirant du Commonwealth britannique, créé en 1931, prévoyait que les Etats membres jouissent de l’autonomie, s’administrent eux-mêmes et gèrent démocratiquement et librement leurs propres affaires, élisant leurs propres institutions internes.

La Communauté, bien qu’abrogée en 1995, est en réalité caduque dès 1961, après 3 ans d’existence, avec l’indépendance successive de chacune des anciennes colonies françaises.

Nombre sont ceux pourtant parmi les élites des peuples colonisés à vouloir appliquer le concept de fédéralisme à leurs territoires. Citons Aimé Césaire, qui s’inspirant de la vision fédéraliste de Proudhon, plaide ainsi en 1958 pour l’entrée de la Martinique dans un système fédéral (cf. Et si la Martinique devenait un Etat fédéré dans une France et une Europe fédérale ? – Presse fédéraliste (pressefederaliste.eu)). stipulant que l’idée fédérale … permet seule de résoudre correctement le problème antillais. Léopold Sédar Senghor, homme d’Etat français puis sénégalais tente la même année de créer le Parti fédéraliste africain puis une fédération regroupant d’anciennes colonies françaises voisines du Sénégal entre elles malheureusement sans succès (cf. Fédéralisme et décolonisation en Afrique noire et aux Antilles. – MondesFrancophones.com).

Dans les années 1950, Albert Camus envisagera lui-même une solution de type fédéral à la crise algérienne. Le temps du compromis et de la raison était hélas déjà révolu lorsque le prix Nobel de littérature formula sa proposition. Le 1er novembre 1954 marquant le début de la guerre d’indépendance de l’Algérie. Mort prématurément en janvier 1960, Albert Camus ne pu développer son idée que certains de ses proches qualifièrent de « farfelue » (cf. Albert Camus, le fédéralisme et l’Algérie | Cairn.info)

La notion refait surface en 1984-1988 en vue de trouver une solution au conflit en Nouvelle-Calédonie que certains qualifiaient de « guerre civile ». Les accords de paix de  Matignon-Oudinot de 1988 actent ainsi par écrit l’instauration pour un territoire français d’une administration et d’un développement fédéral. Le premier ministre de l’époque Michel Rocard, à l’origine de ces accords, stipula plus tard : “Nous faisons un accord fédéral mais nous ne le disons pas parce que si je dis le mot alors je condamne immédiatement la démarche” (cf. Jean – Jacques Urvoas, « État Fédéré ou État Associé ? » – Évènements 2024 Témoignages (youtube.com)) dénotant la difficulté pour l’Etat français d’avoir recours à des solutions issues du droit anglo-saxon, lui remémorant également des périodes sombres de son histoire. La dynamique de l’Accord de Nouméa, dix ans après en 1998, est aussi fédérale selon Florence Faberon (cf. Le fédéralisme, solution française de décolonisation : le cas de la Nouvelle-Calédonie [1] | Cairn.info) et vient ainsi compléter mais non finaliser ce qui avait été enclenché en 1988.

Le concept de fédéralisme fait sa réapparition en 2017, lorsque le candidat à la présidentielle, Emmanuel Macron propose un “pacte girondin” aux collectivités territoriales. Il dénonce le 3 juillet 2017 devant le congrès de Versailles la “centralisation jacobine” traduisant “trop souvent la peur de perdre une part de son pouvoir”. Lors d’une conférence des territoires, il précise son projet de “pacte girondin” visant à offrir “davantage de liberté de s’organiser localement” aux collectivités territoriales, en leur donnant plus de pouvoirs sur la fiscalité, l’aménagement du territoire, le logement, l’éducation et la culture. En 2022, est voté la loi relative à la différenciation, décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, plus connue sous le sigle 3DS, visant à rendre plus fluide les rapports entre l’Etat et les collectivités locales mais qui s’avère pour certains n’être qu’un catalogue, qu’un salmigondis autrement dit une loi fourre-tout contenant toutes sortes de disposition largement illisibles5.

Reste à savoir si la France sous sa présidence serait prête à “perdre une part de son pouvoir” au profit de la Nouvelle-Calédonie afin que cette dernière accède au rang d’Etat non pas souverain mais fédéré ? Ce qui ne semblerait poser aucun problème selon Thierry Michalon, pour qui la République française est une fédération qui s’ignore du fait de l’autonomie juridique accordée à certaines collectivités territoriales d’outre-mer6. Celui-ci ajoutant que l’unité et l’indivisibilité de la République relèvent du slogan idéologique et sont contredites par l’évolution du droit ultramarin depuis 1946.

 

1 Amenée par la révolution française, la 1ere République succède à la monarchie de 1792 à 1804.

6 MICHALON Thierry, 2009. L’outre-mer français. Évolution institutionnelle et affirmations identitaires, Paris, L’Harmattan, coll. Grale, 162 p