Le fédéralisme comme remède aux conflits

Le fédéralisme comme remède aux conflits
24 mai 2024

Le fédéralisme comme remède aux conflits

Seul le fédéralisme permet d’établir la paix (KANT, 1795)1

C’est souvent lorsqu’il existe des phénomènes de domination de peuples par rapport aux autres que les violences et les guerres se réveillent2.

Or, depuis la fin de la seconde guerre mondiale (1945) et de la guerre froide (1990), la solution fédérale s’est progressivement affirmée comme antidote aux violences et risques de guerres. Elle est graduellement devenue un outil au service de la résolution de conflits au sein d’Etats souverains, à la fois comme outil de pacification mais aussi d’alternative démocratique aux Etats unitaires ou à la sécession dans des sociétés profondément divisées, post-conflits et ethniquement hétérogènes3.

L’adoption du fédéralisme en Europe a ainsi été conçu pour éviter toute nouvelle guerre sur le continent européen.

En Inde, la république créée en 1947, après les luttes contre le colonisateur, est délibérément choisie comme devant être libérale, afin de garantir l’état de droit et les possibilités d’expression des différentes communautés qui la composent.

Le processus de pacification en Afrique du sud (la commission vérité et réconciliation de 1995) est d’essence fédérale.

Le fédéralisme américain a lui-même été conçu en opposition à une Europe caractérisée par la souveraineté étatique absolue de ses Etats et par l’état de guerre permanent qui en résultait4.

Le fédéralisme s’est ainsi propagé en 3 grandes périodes. La première comprise entre la fin du 18e siècle et la fin du 19e siècle voyant apparaître la fondation des premiers Etats fédéraux comme les Etats-Unis (1789), la Suisse (1848), le Canada (1867), l’Australie (1901) auxquels s’ajoutent les Etats latino-américains comme le Venezuela (1811), le Mexique (1824), l’Argentine (1853) et le Brésil (1891). La seconde période débutant après la seconde guerre mondiale en relation avec la fin des colonies, notamment en Inde (1950), au Pakistan (1956), en Allemagne (1949), en Yougoslavie (1949). La troisième période, après 1990, étant celle de l’adoption par des Etats centralisateurs de manière explicite ou de facto d’une organisation fédéraliste comme la Belgique (1993), l’Espagne (1978 et 2006), l’Afrique du Sud (1996). De nouvelles fédérations ont également vu le jour dans des régions en conflit comme en Bosnie Herzégovine (1995), Irak (2005), Népal (2007), …

L’attrait pour l’Etat fédéral étant que celui-ci offre la chance à différentes populations de vivre leur diversité politique, culturelle ou religieuse dans l’unité. Le fédéralisme permet aux minorités dans des Etats multiculturels de vivre leur identité culturelle sans devoir renoncer aux avantages des grands Etats centraux (marché intérieur, défense, relations internationales, …)

Bien que l’objectif traditionnel du fédéralisme soit de protéger les droits dans les démocraties établies, l’objectif récent qui lui a été attribué étant celui d’éviter la guerre ou la sécession dans les sociétés post-conflits5.

Cette forme de gouvernement est souvent présentée comme une solution de sortie de crise parce qu’elle aurait des vertus pacificatrices tenant à sa capacité à donner une légitimité à des groupes minoritaires et à leur accorder dans le même temps une sécurité.

C’est ainsi qu’en renforçant la démocratie et en répondant à la volonté d’autonomie des groupes, le fédéralisme atténuerait les tensions dans les sociétés divisées et éviterait le conflit sécessionniste.

En effet, à la différence de l’Etat national, qui tend à rendre homogène toutes les communautés existant sur son territoire, en s’efforçant d’imposer à tous ses citoyens la même langue et les mêmes coutumes, contrôlant tout du sommet, étouffant les communautés, c’est à dire la vie concrète des hommes, les Etats fédérés disposant de pouvoirs suffisants permettent à ces derniers de se régir de façon autonome.

Ainsi, si un Etat unitaire ne prévoit pas de place pour différentes cultures autres que la culture nationale, un Etat fédéral peut autoriser des groupes divers à régler leurs affaires eux-mêmes dans le cadre de leurs compétences. Dans un Etat fédéral, l’Etat central et les Etats membres sont souverains dans leurs domaines de compétences.

Il convient de rappeler que les Etats fédérés membres d’un Etat fédéral sont non seulement autonomes dans leurs domaines de responsabilités mais possèdent également leurs propres autorités législatives, exécutives et judiciaires ainsi que certains droits d’intervention lors de la prise de position de l’Etat central.

Si l’expérience montre que le fédéralisme est particulièrement apte de par sa nature à contribuer à résoudre de manière importante et durable des conflits locaux, entre les groupes de peuples différents dans les Etats multiculturels et par la même rétablir la paix et la stabilité dans des pays déchirés par la guerre, il convient de rappeler et de souligner que toute fédération doit résulter du consentement des parties en présence. Lorsque celui-ci fait défaut, les divisions reprennent ainsi le dessus sur le cessez-le-feu. De là, toute fédération établie dans la contrainte et/ou mettant en oeuvre une répartition des pouvoirs déséquilibrés amène de nouveau à la guerre.

Le politologue canadien Ronald Watts qui est l’un des plus grands experts du fédéralisme et conseille de nombreux gouvernements à ce titre, a dénombré quatre conditions nécessaires pour permettre au fédéralisme de progresser dans un Etat :

l) Les participants doivent faire preuve d’une volonté réelle de se fédérer car le fédéralisme exige le consensus de tous. En effet, des solutions imposées de l’extérieur, comme par exemple d’une communauté d’Etat internationale ont peu de chances de succès, bien que l’ONU, l’OTAN ou encore l’UE ont pu jouer un rôle important dans l’introduction de mécanismes institutionnels fédéraux dans certains cas,

2) Le fédéralisme exige à côté de l’autodétermination des états membres aussi certaines valeurs communes sans lesquelles un Etat fédéral ne peut pas exister à la longue,

3) Pour que des solutions fédérales persistent, il faut avant tout la confiance entre les partenaires, considérés comme étant différents mais équivalents,

4) Il faut surtout développer une culture politique basée sur la coopération, la considération mutuelle, le respect de la Constitution, la tolérance et la disposition au dialogue et au compromis. Selon Florence Faberon, fédérer c’est rassembler et s’en remettre à une culture de tolérance et de recherche d’équilibre qui sont fondamentalement les valeurs portées par la culture kanake comme par la France6.

Les Constitutions fédérales dans lesquelles cette culture politique manquait se sont souvent révélées être de simples façades qui cachaient un autoritarisme et un centralisme prédominant.

Toujours selon Florence Faberon, fédérer, c’est relever le défi de la cohésion, en refusant l’assimilation pure et simple.

En effet, le fédéralisme permet de prendre en compte les demandes de reconnaissance et d’inclusion7.

Le fédéralisme se prête en effet particulièrement bien à la résolution de conflits et à l’intégration pacifique de groupes de peuples différents pour autant qu’ils vivent dans des territoires séparés. Il donne ainsi aux minorités la possibilité de former des majorités dans un Etat membre de l’Etat global et de créer un système qui lui convient, limitant de facto les aspirations sécessionistes de séparatistes régionaux, permettant par la même à l’Etat central par la mise en place d’un fédéralisme dit “de maintien” de résoudre des conflits ethniques parfois violents et d’apporter une solution à certains problèmes propres à l’organisation politique.

Le fédéralisme permet ainsi de répartir le pouvoir entre différents peuples tout en maintenant les frontières extérieures des Etats existants.

Pour conclure, ces dernières années, la nature des conflits a changé, comme l’illustre la prolifération de guerres civiles et de conflits alimentés par la présence d’une diversité ethnique, religieuse ou linguistique (Kaldor, 2012). Ces « nouvelles guerres » ont encouragé le développement d’outils novateurs pour contrôler et résoudre les conflits ethnoculturels. Le fédéralisme correspond à l’un de ces outils, en ce qu’il est apte à satisfaire les demandes et les attentes des groupes minoritaires comme majoritaires. En effet, il permet d’offrir aux groupes minoritaires un contrôle (limité) sur leurs propres affaires économiques, politiques et sociales, tout en assurant dans le même temps l’intégrité territoriale de l’État existant.

Ceci dit, il est illusoire de croire que le fédéralisme puisse résoudre tous les problèmes que connaissent les sociétés divisées, notamment celles qui ont connu des conflits ethniques violents. Les défis posés à l’intégrité territoriale et les appels à la sécession ne disparaîtront pas malgré les engagements en faveur du fédéralisme, comme l’illustrent certaines démocraties de long terme telles que le Canada, l’Espagne ou le Royaume-Uni, mais également certaines fédérations récentes dans des sociétés post-conflit, telles que la Bosnie, l’Éthiopie ou l’Irak. Ceci est dû en grande partie au fait que, dans les États post-conflit, les élites politiques représentant les différents groupes ethniques sont peu enclines à s’engager dans une dynamique de confiance mutuelle, une volonté de coopération ou encore une ouverture pour la négociation de compromis.

Néanmoins, en l’absence de réponses démocratiques aux tensions ethnoculturelles, les solutions alternatives sont soit inhumaines (comme c’est le cas pour le génocide ou l’épuration ethnique), ou se résument à la sécession, la partition ou une continuation du conflit, c’est-à-dire des solutions qui, comme le rappellent McGarry et O’Leary (2009), ne font qu’empirer les tensions ethniques.

1 KANT Emmanuel, 1795, Vers la paix perpétuelle, Essai philosophique.

7 Définition : Inclusion : action d’intégrer une personne, un groupe, dans un tout, un ensemble et ainsi de mettre fin à leur exclusion.