Fédéralisme versus décentralisation

Fédéralisme versus décentralisation
22 février 2024

Fédéralisme versus décentralisation

 

Le statut de la Nouvelle-Calédonie amène certains à qualifier sa relation avec l’Etat comme fédérale.

En pratique l’état fédéral contrôle les Etats fédérés comme la France contrôle la Nouvelle-Calédonie.

Chaque Etat fédéré est doté de compétences et d’une organisation propre à la constitution.

La Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’outre-mer à statut particulier. L’archipel bénéficie d’un statut sui-generis (spécifique) provisoire, inscrit au titre XIII de la Constitution française du 4 octobre 1958.

Son statut unique résulte des accords de paix de Nouméa de 1998. Une loi organique du 19 mars 1999 fixe le cadre dans lequel elle s’inscrit.

L’article 2 de cette loi organique dénombre les institutions de la collectivité. C’est ainsi que l’on y apprend que la Nouvelle-Calédonie sera dotée d’un congrès (législatif), d’un gouvernement (exécutif), …

C’est cette création d’un 2e parlement et gouvernement local au sein d’un Etat unitaire qui ont amené certains à définir dès 1999 le lien unissant la France à la Nouvelle-Calédonie de type fédéraliste.

Cette désignation est également utilisée pour qualifier l’organisation interne de la Nouvelle-Calédonie qui est subdivisée en 3 provinces (sorte de départements). Les provinces selon l’article 20 sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l’Etat ou à la Nouvelle-Calédonie […] ou aux communes. Robert Bertram parle ainsi d’un “fédéralisme interne asymétrique” et Jean-Yves Faberon, quant à lui, d’un “fédéralisme gigogne” 1.

Si la création d’un gouvernement et d’un parlement ont été mise en œuvre dans l’optique d’une accession possible de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté et donc à l’indépendance, le fait que la France n’accèdera jamais à cette éventualité font de ces institutions pour certains des institutions fantoches ou des leurres.

C’est pourquoi, il est étonnant que d’autres territoires d’outre-mer comme la Polynésie française2 ou bien encore la Corse3 en connaissant cette situation, souhaitent acquérir un statut comme celui de la Nouvelle-Calédonie.

Cette illusion est d’autant plus véridique au travers du champ d’application des compétences. En effet, si la Nouvelle-Calédonie dispose d’un pouvoir d’action sur un grand nombre de compétences comme l’enseignement, le travail, le commerce, les communications, la sécurité civile, … et qu’elle peut légiférer sur celles-ci au travers de “lois de pays” via son congrès, ces dernières doivent toutefois passées sous les fourches caudines du Conseil d’Etat, soi-disant pour avis, et du contrôle du Conseil constitutionnel4 afin de vérifier leurs conformités avec la constitution française. Il convient aussi de rappeler que le haut-commissaire de la république en Nouvelle-Calédonie peut demander une nouvelle délibération au congrès et que lui sont confiées les lois de pays pour promulgation signifiant que seul l’Etat peut rendre exécutoire une loi de pays.

Ainsi, l’Etat ayant le dernier mot est en réalité le véritable législateur et continue de contrôler les compétences attribuées à la Nouvelle-Calédonie, normalement irréversibles. L’exemple de la loi sur l’emploi locale qui aura mis plus de 10 ans avant d’être promulguée pour au final continuer d’avantager l’accès de métropolitains à l’emploi en Nouvelle-Calédonie, notamment aux postes clés de cadres, en est un bon exemple5. Le conseil d’Etat6 et Constitutionnel ayant rendu des avis très largement négatifs7 obligeant ainsi les dirigeants calédoniens à modifier la loi selon les desiderata de l’Etat.

Le contournement de certaines compétences locales via une compétence régalienne de l’Etat qu’est la justice est un autre exemple de simulacre de contrôle par la Nouvelle-Calédonie de ses compétences. La période du covid-19 l’ayant démontrée. Alors que le territoire, compétent en matière de santé, mettait en place une période de quarantaine à destination des personnes entrants au pays alors covid free, la justice a permis a certains de s’abstenir des 14 jours obligatoires (cf. N-Calédonie: les indépendantistes prêts à se mobiliser sur le nickel et le coronavirus (lefigaro.fr), Covid-19 : la quatorzaine sanitaire fragilisée en Nouvelle-Calédonie – Nouvelle-Calédonie la 1ère (francetvinfo.fr), État d’urgence sanitaire et conflit de souveraineté en Nouvelle-Calédonie Par Mathias Chauchat – JP blog (juspoliticum.com)), permettant ainsi au virus son entrée sur le territoire et faisant a minima officiellement près de 300 morts. Le professeur Guy Agniel avait d’ailleurs critiqué l’attitude du Conseil d’Etat mentionnant qu’en introduisant toujours plus l’Etat dans le système décentralisé de la Nouvelle-Calédonie, la Haute cour […] cherche à reprendre par la voie juridique ce qu’il a accordé sur le terrain politique. (cf. rjpenc.nc)

Ainsi, malgré des institutions et compétences élargies, la Nouvelle-Calédonie ne fait l’objet en réalité que d’une autonomie de façade qui n’est autre qu’une décentralisation, restant ainsi sous la surveillance et le contrôle de l’Etat.

Le contrôle de légalité, par lequel le représentant de l’Etat (Haut-commissaire) s’assure de la conformité à la loi des actes pris par les collectivités territoriales et certains établissements publics est lui aussi décrié. Bien qu’aujourd’hui ce contrôle est quasi inexistant, le haut-commissaire peut néanmoins attaquer les actes locaux qu’il estime illégaux devant le juge administratif, seul en mesure d’en prononcer l’annulation. Rarement mis en œuvre en Nouvelle-Calédonie, ce contrôle, présent au sein de l’article 27 de la loi organique fait l’objet d’une demande de transfert de la part des indépendantiste8.

Néanmoins, l’ensemble des dispositifs institutionnels en place à ce jour, permettrait l’instauration d’un véritable fédéralisme. Il suffirait pour cela qu’en plus de l’irréversibilité des compétences, que les lois de pays ayant attraits aux compétences propres à la Nouvelle-Calédonie ne soient plus soumises à approbation de l’Etat français, que l’article 27 soit transféré au pays et que le pouvoir judiciaire (justice + police) fasse également l’objet d’un transfert au territoire devenant une compétence locale, lui permettant ainsi en plus du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif d’accéder au statut d’Etat comme formulé par Montesquieu (1689-1755).

La loi no 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions qui procède notamment à un redécoupage des régions, réduisant celles de métropole de 22 à 13, en amenant celles-ci à fusionner peut s’apparenter aux prémices d’un Etat fédéral métropolitain. Basé à l’origine sur une réforme visant à accroître la taille des régions afin de capter de plus importantes subventions de la part de l’union européenne, les régions françaises commencent ainsi à ressembler aux Landers allemands, états fédérés au sein de l’Etat fédéral d’Allemagne.

La transformation en un système fédéral permettrait ainsi de corriger les nombreuses critiques liées aux différentes vagues de décentralisation comme le manque de clarté au niveau des compétences de chacun des échelons administratifs relevés par l’OCDE et la cour des comptes en 2007 et 2009, de même qu’un financement inadapté des collectivités locales. Pour l’éditorialiste de Challenges, Ghislaine Ottenheimer, la décentralisation est décrite comme un fiasco absolu. Pour elle, « C’est comme si le pouvoir politique avait fait semblant. Semblant de réformer, semblant de partager, semblant d’être efficace. » La réalité étant que la politique de décentralisation initiée depuis les années 1980 s’inscrit dans une volonté de calmer les revendications régionalistes, à l’origine portée par des fédéralistes. Or, malgré plusieurs vagues de décentralisation, la France en 2020 est jugée comme l’une des démocraties les plus centralisées. Le code général des collectivités territoriales laissant peu d’autonomies aux collectivités9.