L’église et la pensée fédéraliste

L’église et la pensée fédéraliste
01 juillet 2025

L’église et la pensée fédéraliste

Bonjour à tous,

L’association APROFED revient vers vous cette semaine concernant un acteur s’étant très peu exprimé publiquement sur la crise que connaît actuellement la Nouvelle-Calédonie à savoir l’église catholique, romaine et apostolique.

L’association s’est également interrogé sur le positionnement de l’église quant aux solutions proposées par nos représentants, notamment celle du fédéralisme que nous prônons.

Bien que dans son encyclique “Sapientiae christianae” de 1890, le pape Léon XIII déclarait qu’il n’appartenait pas à l’Eglise de trancher entre les différentes formes et institutions des gouvernements (terrestres) civils (cf. Res Publica Christiana — Wikipédia) et que l’institution catholique fonctionne comme un Etat unitaire, tel la France, centralisée autour du pape et de la curie (gouvernement épiscopal) basés à Rome, il n’en est pas moins que de nombreuses personnalités rattachées ou appartenant à l’Eglise ont durant son histoire défendu la notion de fédéralisme tant pour les gouvernements des hommes que celui, spirituel, de l’Eglise.

En 1712, l’abbé de St-Pierre, d’origine française, et son “projet de Paix Perpétuelle” vise à instaurer une paix durable et stable entre les nations, au-delà des simples trêves ou traités temporaires, autour d’une idée principale visant à instaurer une sorte de confédération en créant une société européenne des Etats dotée :

– d’un tribunal supranational pour régler les différends entre nations, sans recours à la guerre,

– d’un Congrès permanent réunissant les Etats,

– de lois communes et sanctions collectives contre les Etats fauteurs de guerre.

Son projet anticipait certaines idées modernes comme la société des nations, l’ONU. Il fut notamment repris par les penseurs des Lumières aussi bien français comme Rousseau qu’allemand comme Kant.

En 1776, l’abbé Mably, lui aussi d’origine française, dans son ouvrage De la législation ou principe des lois tenait ainsi la République fédérative pour “le plus haut degré de perfection où la politique puisse s’élever”. L’américain Washington et ses amis se souviendront de la recommandation (cf. Les références historiques du fédéralisme – Le Taurillon).

Au XXe siècle, Jacques Maritain, philosophe catholique défend un certain fédéralisme chrétien. Il inspire la pensée européenne post-1945. Denis de Rougemont, penseur protestant mais influent dans des cercles catholiques défend quant à lui le fédéralisme européen. Il collabore à l’idée d’une Europe fédérale chrétienne. Il sera l’un des premiers animateurs de l’association internationale UEF (Union des fédéralistes européens) fondée en 1946 avec qui l’association APROFED échange régulièrement.

En 1965, le père Apollinaire Anova Ataba, prête kanak de l’église catholique originaire de la tribu de Moméa, descendant de réfugiés de la répression de 1878, que certains nomment le « premier intellectuel kanak », espère dans son mémoire de seconde année de licence en sciences sociales à l’Institut catholique de Paris, qu’un jour viendra où l’Océanie verra une fédération d’Etats autogouvernés (cf. CHAPPELL David, Le réveil Kanak, La montée du nationalisme en Nouvelle-Calédonie, UNC-Madrépores, 2017, p.81) comme ce que propose l’association dans sa solution n°2. Il meurt malheureusement d’une leucémie à son retour à Nouméa en 1966 à l’âge de 36 ans. (Gasser et Mokaddem, 2005).

Plus proche de nous, en 2009, le pape Benoit XVI dans son encyclique Caritas in veritate évoque une “autorité politique mondiale” subsidiaire soulignant que les pouvoirs doivent être exercés au niveau le plus adéquat, ni trop centralisé ni trop éclaté.

En 2011, le cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson, rejoint cette vision dans une note du Conseil pontifical Justice et Paix (cf. Note du Conseil Pontifical « Justice et Paix », 24 octobre 2011) prônant une gouvernance globale voir un gouvernement mondial (cf. Gouvernement mondial — Wikipédia ) fonctionnant sur les principes du fédéralisme comme le défend le Mouvement fédéraliste mondial depuis 1947 (cf. Mouvement fédéraliste mondial — Wikipédia & Une fédération mondiale pour relever les défis du 21ᵉ siècle – Union des fédéralistes européens, UEF-France) et l’association APROFED (cf. ONU : une institution à réformer sur le modèle fédéral – APROFED) faisant la promotion d’un nouvel ordre mondial autour de supranations fédérées dialoguant au sein d’une ONU réformée en conséquence et tournant ainsi définitivement la page du colonialisme (cf. Fédéralisme intégral — Wikipédia).

Durant la révolution française, l’église ayant perdu un grand nombre d’ecclésiastiques soutenant la monarchie décide de facto de se rallier à la cause révolutionnaire. C’es ainsi que l’abbé Grégoire s’oppose fermement au fédéralisme défendant l’unité nationale et la mise en place d’une République une et indivisible. Le fédéralisme, pendant la Révolution, était associé à des mouvements contre-révolutionnaires ou à des soulèvements régionaux (comme à Lyon, Marseille ou Bordeaux en 1793) qui contestaient l’autorité centrale du gouvernement révolutionnaire parisien, notamment pendant la Convention nationale. L’abbé Grégoire soutenait l’autorité centrale forte pour garantir l’égalité des citoyens sur l’ensemble du territoire et s’est donc fermement opposé aux insurrections fédéralistes qui menaçaient Paris et la Convention en 1793. Il voyait dans le fédéralisme un danger pour la Révolution : un risque de division du pays, de retour à l’Ancien Régime, et un affaiblissement de la République allant jusqu’à déclarer “le fédéralisme et la guerre civile, c’est la même chose”. Pour Grégoire, le fédéralisme est synonyme de désunion.

Ainsi l’Église ne s’oppose pas au fédéralisme en soi, mais à certains usages idéologiques ou séparatistes du fédéralisme, notamment quand il est utilisé pour affaiblir l’unité nationale ou ecclésiale (par exemple, certains mouvements indépendantistes qui fragmentent la solidarité).

On comprend ainsi pourquoi l’Eglise ne veut pas se mêler des affaires des hommes pour se réserver à celles de l’esprit vu parfois la complexité de certaines situations.

Néanmoins, il semblerait que son silence en Nouvelle-Calédonie ait été mal perçu par le monde mélanésien à l’inverse de son homologue protestante qui dès 1979 a pris position pour l’indépendance (cf. L’église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie réaffirme sa position pour le « Oui » à l’indépendance). Cette différence fut notable durant l’insurrection de 2024 où seules les églises catholiques ont été prises pour cibles et incendiées.

Certains kanaks se souvenant, au début de la colonisation, qu’en 1843, des missionnaires maristes débarquent d’un navire de guerre français à Balade au nord-est de la Grande Terre et échangent des cadeaux contre des terres avec les chefs afin de pouvoir construire une mission. Louis-Napoléon […] une fois élu président en 1848, sa marine soutient les missionnaires catholiques, lui assurant des points d’appui (cf. CHAPPELL David, Le réveil Kanak, La montée du nationalisme en Nouvelle-Calédonie, UNC-Madrépores, 2017, p.45). En 1966, d’autres estiment que le christianisme a détourné de nombreux jeunes kanaks, […] de leurs traditions sans pour autant les assimiler à l’Occident. (cf. CHAPPELL David, Le réveil Kanak, La montée du nationalisme en Nouvelle-Calédonie, UNC-Madrépores, 2017, p.82). En 1969, des slogans radicaux peints sur les murs des bâtiments publics apparaissent parmi lesquels on peut y lire : « Les blancs sont venus avec la Bible pour nous civiliser. Nous avions les terres. Maintenant ils ont les terres et nous avons toujours la Bible » (cf. CHAPPELL David, Le réveil Kanak, La montée du nationalisme en Nouvelle-Calédonie, UNC-Madrépores, 2017, p.106). En 1973, pour les Foulards rouge, le colonialisme français cherche à assassiner le peuple kanak spirituellement par le biais de conversion du christianisme (cf. CHAPPELL David, Le réveil Kanak, La montée du nationalisme en Nouvelle-Calédonie, UNC-Madrépores, 2017, p.147).

Pour conclure, l’association rappelle que les églises catholiques et protestantes avaient participer à la mission du dialogue lors des derniers évènements dans les années 1980. Il aurait été intéressant que celles-ci soient à nouveau intégrées dans les discussions et négociations menées cette année afin de pouvoir dépassionner les débats et tenter de rapprocher les pensées des 2 blocs qui s’opposent et se radicalisent de plus en plus.

En vous souhaitant une bonne lecture et en vous rappelant que le fédéralisme est la seule solution pour concilier l’unité dans la diversité.

L’association APROFED