Le projet de « fédération territorial » des loyalistes n’est pas du fédéralisme

Le projet de « fédération territorial » des loyalistes n’est pas du fédéralisme
25 novembre 2024

Le projet de « fédération territorial » des loyalistes n’est pas du fédéralisme

Bonjour à tous,

L’association APROFED revient vers vous cette semaine suite à l’annonce faite la semaine dernière par les loyalistes d’un projet de “fédération territoriale”1 se voulant être inspirée de la notion du fédéralisme.

L’association met en garde ses lecteurs et sympathisants. Ce projet ne relève en rien du fédéralisme.

Car si le terme “fédérer” veut également dire s’associer, on voit mal comment le camp indépendantiste pourrait s’associer à cette démarche dans la mesure où aucun de ces arguments ne sont pris en compte.

Avec leur projet de “fédération territoriale” ou “fédéralisme interne”, les loyalistes ne veulent pas avancer mais au contraire retourner 40 ans en arrière, en 1988, revenant aux principes des accords de Matignon Oudinot, ce qui arrangerait au passage l’Etat lui évitant ainsi de mettre en place un véritable fédéralisme en Nouvelle-Calédonie que ne manquerait pas de demander également le reste des outremers (qui demandent déjà de revoir leurs relations avec l’Etat avec l’appel de Fort de France) voir même les régions de l’hexagone elles-mêmes. Rappelant que ces dernières sont issues de la pensée fédéraliste.

Pour rappel, le “fédéralisme interne” proposé par les loyalistes consistent comme le décrit P.Bretegnier dans l’un de ses ouvrages2 à un retour au partage du pouvoir prévu par les accords de Matignon. Les provinces Nord et Îles majoritairement kanak devant être gouvernées par les indépendantistes et la province Sud par les loyalistes, une assemblée commune assurant la cohérence de l’ensemble et réglant les compétences qui ne peuvent être provincialisées. Chacun étant maître chez soi sous l’arbitrage de l’État. Ce projet porté par P.Frogier et S.Backès se rapprochant du modèle fédéral de la Belgique, selon lui, où chaque communauté (wallonne et flamande) gouverne là où elle est majoritaire, où à l’afrikaners comme le souligne un article australien repris dans Mediapart3.

Comme le souligne P.Bretegnier, ce projet a eu vite fait d’être accusé de partition, ce qui est le cas notamment pour A.Christnacht, ancien haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie, pour qui le risque de ce projet est qu’il n’exaspère les divisions4Celui-ci évoquant même que cette proposition comprend même la possibilité pour les provinces d’accéder à l’indépendance, individuellement – ce que |…] l’Accord de Nouméa l’a interdite. De plus, toujours selon lui, les indépendantistes pourraient difficilement considérer comme un progrès un « chacun pour soi » qui les renverrait dans leurs provinces. Ce projet et ceux qui sont de la même inspiration, risquent d’être perçus comme un recul par rapport à la situation actuelle.

Ce projet étant pour certains indépendantistes non pas celui des Loyalistes mais bel et bien celui de l’Etat5 qui rappelons le est coutumier du fait de conserver lors de la décolonisation de certaines de ces anciennes colonies certains morceaux de celles-ci.

Il convient de rappeler que J.M Tjibaou en 1988 s’était déjà déclaré absolument opposé à tout projet de partition visant à mettre en place un pays pour les blancs et un pays pour les noirs6.

Si les loyalistes prônent néanmoins vouloir conserver une unité territoriale, la définition même du terme fédération présent dans leur projet de “fédération territoriale” révèle bien leurs intentions. En effet, une fédération, au niveau institutionnel, est une union de plusieurs Etats en un Etat fédéral. Si l’Etat fédéral pour les loyalistes est la Nouvelle-Calédonie, les autres Etats étant de facto les provinces. L’association estimant que le terme fédération est par ailleurs mal approprié car se rapprochant de celui de la fédération de Russie, pays autoritaire qui n’est fédéral qu’en façade.

Il convient de rappeler également que les accords de Matignon amenait une administration directe par l’Etat7Comme le souligne le texte même des accords, l’exécutif du Congrès est confié au représentant de l’Etat qui dirige l’administration territorialeAinsi dans le projet des Loyalistes, Mr Louis Le Franc, pardon, Mr le Haut Commissaire, serait à la tête non seulement du Congrès mais aussi du gouvernement, si ces 2 institutions demeurent, ce qui est moins sûr. Si en 1988, Paris assura au départ la mise en place et la transition du système, aucune transition n’est fait mention dans le projet de “fédération territoriale” des loyalistes, démontrant qu’ils veulent non seulement une plus grande implication de l’Etat mais une intégration de la Nouvelle-Calédonie dans la France. Leurs demandes incessantes de mise sous tutelle de la Nouvelle-Calédonie par la France pour ne pas dire de l’ensemble des collectivités gérées par les indépendantistes dénotent bien de la mentalité de ceux-ci et de leurs projets.

L’association serait plutôt partisane au contraire à ce que le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie devienne le représentant de l’Etat, portant les 2 casquettes, à la fois celle de haussaire et de représentant du territoire, à l’instar du projet marocain pour le Sahara occidental que le président E.Macron a salué.

Pour résumé, seul le double fédéralisme externe et interne comme le porte l’association constituerait un véritable projet fédéral pour la Nouvelle-Calédonie avec :

– en externe la mise en place d’une nouvelle relation avec l’Etat qui ne gérerait plus que les compétences régaliennes tels que la défense, la diplomatie, la monnaie, la nationalité, avec l’avis des autorités calédoniennes,

– et en interne, une souveraineté entière quant aux compétences du territoire déjà acquises avec la suppression du contrôle de légalité par l’Etat sur les actes et délibérations des collectivités locales ainsi que du contrôle par le Conseil d’Etat et du Conseil Constitutionnel sur les lois de pays émises par le Congrès. Ainsi que le transfert de la compétence de l’article 27 voir des 2 compétences régaliennes que sont la justice et la police afin que la Nouvelle-Calédonie puisse être qualifiée d’Etat.

Ce double fédéralisme pouvant constituer ainsi “la souveraineté partagée” prônée par les présidents du Sénat et de l’assemblée nationale en visite en Nouvelle-Calédonie au mois de Novembre.

Il serait intéressant qu’outre le fédéralisme interne proposé par les loyalistes que le fédéralisme externe face l’objet de plus d’informations auprès de la population et ne soit pas écarté d’un revers de main par la presse comme durant l’émission radio “club politique” sur RRB8 du 22 novembre 2024 sous prétexte qu’il ne s’agit pas du sujet.

Comme le rappel, Pierre Bretegnier, au fédéralisme interne des Accords de Matignon a donc succédé le fédéralisme externe de l’accord de Nouméa, la « souveraineté partagée » avec un État central et l’auto organisation d’un territoire (en l’occurrence par les transferts de compétences décidées par le Congrès) étant les critères de définition des régimes fédéraux.9

Si le projet de fédération territoriale ou de fédéralisme interne proposé par les loyalistes fait l’objet de beaucoup commentaires et nécessite d’être débattu, l’association rappelle qu’elle n’est en aucune façon pour un “projet à l’irlandaise” ou à la belge. Notons dans ce dernier cas que les habitants de Wallonie, de langue française, demandent leur indépendance et certains ayant même souhaité être rattachés à la France.

L’association se dit ainsi opposée à une généralisation du cas de la commune de Poya, d’où est originaire le député calédonien non indépendantiste, à l’ensemble du territoire. Rappelons que cette commune s’est vu coupée en 2, à cheval sur 2 provinces (départements), sur la volonté des populations européennes ne souhaitant pas être rattachées à la province Nord gérée par des indépendantistes. Notons par ailleurs que l’insurrection de mai 2024 a revisitée quelque peu la limite provinciale l’approchant de celles des circonscriptions électorales des législatives avec une limite non plus au creek amick mais plutôt au niveau de l’anse Uaré voir de la Grande Rade sur Nouméa. Donc attention à ce que la province Sud de la nouvelle “fédération territoriale” des loyalistes ne se limite pas qu’à Nouméa voir à certains de ses quartiers seulement.

L’association se rapprochant de l’analyse de Calédonie Ensemble pour qui le consensus à construire devra nous conduire à concilier les aspirations à la souveraineté externe du pays – exprimées par les indépendantistes – sans remettre en cause le lien avec la France, et l’ambition d’une souveraineté interne plus affirmée – exprimée par certains à l’échelle provinciale – sans porter atteinte à l’unité du pays. » 10

1 Le projet de « fédération territoriale », porté par les Loyalistes : l’héritage de Dick Ukeiwë

2 BRETEGNIER Pierre, 2024La Nouvelle-Calédonie après trois référendums155p

6 BROU Bernard, 2002, Nos lendemains chanteront-ils? La Nouvelle-Calédonie de 1957 à 1999, 335p – cf.p293 – la Mission du dialogue et l’accord de Matignon.

7 BROU Bernard, 2002, Nos lendemains chanteront-ils? La Nouvelle-Calédonie de 1957 à 1999, 335p – cf.p294 – la Mission du dialogue et l’accord de Matignon.

9 BRETEGNIER Pierre, 2021Réalités calédoniennes127p

10 Le projet de « fédération territoriale », porté par les Loyalistes : l’héritage de Dick Ukeiwë

En vous souhaitant une bonne lecture et en vous rappelant que le fédéralisme est la seule solution pour concilier l’unité dans la diversité.

L’association APROFED