Avis sur l’accord de Bougival – 2eme partie
Bonjour à tous,
L’association revient comme convenu à nouveau vers vous afin de vous faire parvenir la suite de son avis concernant l’accord de Bougival.
Comme mentionné dans la première partie de notre avis (cf. Avis sur l’accord de Bougival – 1ere partie – APROFED), certains éléments nouveaux intéressants apportaient au travers de cet accord semblent intéressants comme : le qualificatif d’Etat donnée à la Nouvelle-Calédonie, la mise en œuvre possible d’une nationalité calédonienne et d’une double nationalité avec la France, le transfert de la diplomatie au territoire mais restreints à ses compétences, lui permettant d’aller s’exprimer, d’égal à égal, avec d’autres Etats, … Toutefois comme mentionné dans notre article et analysé par bon nombres d’élus et experts aussi bien locaux que métropolitains voir étrangers, la mise en application de ces différentes notions reste ambiguë, soumise pour l’heure à interprétation et devant être clarifiée d’ici début 2026 et sa présentation au peuple calédonien, pour validation.
Cette ambiguïté se retrouve ainsi dès la page 3, dans le possible transfert des compétences régaliennes au territoire, que la France semblerait consentir, après obtention des 3 conditions, et pas des moindres, à savoir que la demande provienne en premier lieu du Congrès de la NC à la majorité qualifiée des 3/5, la mise en place par la suite d’un comité visant à étudier les modalités de ce transfert par la France, et enfin la validation définitive non plus simplement par les représentants calédoniens mais par l’ensemble de la population, autrement dit mission impossible. Plutôt que de poursuivre sur l’idée d’une indépendance sèche et brutal avec la France, les indépendantistes s’orientent désormais vers une souveraineté progressive avec l’intention de récupérer une compétence par mandat dès 2026 (cf. Nouvelle-Calédonie, les coulisses du pari de Macron et Valls : un Etat oui, mais sans indépendance – L’Express)
L’association rappelle également qu’elle a toujours prônée depuis sa création pour le retour de la compétence de la justice et de facto de son bras armé que sont les forces de sécurité intérieure, au territoire, cela pour 2 raisons. La 1ere étant de respecter la définition de l’Etat de Montesquieu qui veut qu’un Etat doit pour être désigner comme tel avoir les 3 pouvoirs que sont le législatif, qui fixe les règles de société, l’exécutif qui les applique et enfin le judiciaire qui sanctionne les contrevenant à ces règles. La 2e raison étant pour éviter la réitération de l’épisode Covid avec l’interférence de la justice, donc de l’Etat, sur une compétence calédonienne, contrecarrant ainsi des décisions du législateur et de l’exécutif calédonien. Sinon, cela ne sert à rien d’avoir un Congrès, ni un gouvernement, des provinces et des communes si c’est pour que l’Etat décide de tout. C’est pourquoi nous sommes également pour que le Conseil d’Etat et Constitutionnel ne puissent plus contrôler les lois de pays émises par ma NC pour ce qui est de ses compétences. Ces institutions pourront néanmoins toujours formuler des avis.
La proposition présentée par l’Etat en page 8 de conserver la justice en y associant un peu plus les autorités coutumières n’est pas suffisant pour l’association, dans la mesure où en récupérant la justice au niveau local, il serait ainsi possible de la réformer en profondeur, en vue de mettre en place une véritable justice sociale et indépendante, ce qui fait défaut actuellement en métropole.
Pour ce qui est de la sécurité intérieur (police), l’instauration d’une possible coutumière sur terres de même qualificatif semble aller dans le sens des demandes formulées par certains en NC, notamment les coutumiers. Pour ce qui est de la police provinciale, au vu des missions énumérées, il s’agirait semble-t-il en fait de transférer les polices municipales à l’échelon provincial (départemental). Reste à connaître l’avis des communes sur ce point. La police d’Etat (nationale), elle, restant une compétence régalienne, ce qui est d’ailleurs étonnant dans la mesure où la Nouvelle-Calédonie devenant un Etat-nation via l’accord de Bougival, celle-ci devrait de facto récupérer la compétence liée à la police nationale. L’Etat français ne devant conserver que les prérogatives relatives aux traités internationaux comme sur le terrorisme, les criminels de guerre, le trafic de stupéfiants aux frontières, …
Toujours en matière de compétences, l’association se félicite d’observer page 9, l’évocation de l’éventuel transfert des dernières compétences de l’article 27 de l’ADN et de celui de l’ADRAF, même si celles-ci devront faire l’objet d’une demande par le Congrès de la NC, autrement dit les loyalistes, risquant ainsi de ne jamais être transférées. Il en serait étonnant autrement, dans la mesure où ceux-ci à la tête du pays durant quasiment l’entièreté de l’ADN n’ont jamais demandé à récupérer ces compétences. Il est étonnant de lire que les modalités de transfert de ces compétences seront prévues par la loi organique présentant l’accord de Bougival dans la mesure où ces compétences risquent de relever de la future loi fondamentale définissant l’organisation du territoire, donc ses compétences, dont celles de l’article 27 et l’ADRAF.
Pour les autres compétences que sont la défense, la monnaie et la diplomatie, l’association estime que tant que n’aura pas mûrie l’idée d’une entité supranational avec nos voisins du pacifique (Etats-Unis d’Océanie) comme nous le proposons sur notre site dans notre solution n°2, ces compétences devront demeurer au sein du giron français. La mise en place de comités, commissions et autres visant à associer les représentants de la NC à ces compétences afin d’avoir leurs avis concrétise bien là, la tradition bureaucratique française légendaire. En espérant que cela ne soit pas pour reprendre la philosophie des gens de gauche de 1981 dont le projet politique était d’intégrer au plus haut niveau des institutions locales des leaders indépendantistes afin de leur faire progressivement partager une forme de responsabilité envers ces institutions et, de là, les amener à se satisfaire d’une simple réforme statutaire (Gabriel et Kermel, 1985).
Concernant la mise en place d’un RSMA au niveau de l’agglomération du Grand Nouméa et le renforcement du projet 400 cadres (cadre avenir) en vue de former des personnes natives de NC dans les compétences régaliennes de l’Etat semble intéressante. Encore faut-il que l’Etat soit sincère. La réalité étant tout autre. Il convient de rappeler ici que la fonction publique d’Etat n’est pas soumise à la loi sur l’emploi local calédonienne, excluant de facto un grand nombre de personnel administratif pouvant être embauché sur place, même sur des postes de type catégorie C (<bac). L’Etat préférant faire venir à grand frais des personnes de métropole plus pour des questions de “fidélité” que d’efficacité. Si la loi sur l’emploi local aurait été plus efficiente, et non retouchée par le Conseil constitutionnel, il n’y aurait certainement pas besoin de RSMA, les jeunes pour la plupart océaniens auraient ainsi intégré le marché de l’emploi par leurs propres moyens. Les inégalités et discriminations demeurant fortes à leur encontre et s’accentuant malheureusement depuis l’insurrection de mai 2024 sans contrôle de l’Etat à cet effet.
Il est étonnant que l’Etat à ce sujet souhaite mettre en œuvre un suivi et une évaluation régulière sur la réduction des inégalités, entre communautés et sur les politiques publiques locales mises en place à cet effet alors qu’encore une fois cela relèvera primo de la compétence de la NC et secundo que l’Etat ne l’a pas fait jusqu’à présent, ce qui aurait potentiellement pu éviter les émeutes de 2024. Or, la volonté même du président Chirac en 2003 d’annuler un recensement local qu’il juge raciste parce qu’il prévoyait de mentionner l’ethnie, dénote le souhait de ne plus rendre public ce comparatif et ainsi cacher la misère sous le tapis (cf. CHAPPELL David, Le réveil Kanak, La montée du nationalisme en Nouvelle-Calédonie, UNC-Madrépores, 2017, p.243),
L’exemple de la compétence monnaie étant à l’instar de l’ambiguïté de cet accord de Bougival où bien que les indépendantistes avaient refusé l’instauration de l’euro comme monnaie de paiement sur le territoire et, compétents afin de définir de nouveaux signes identitaires dont celui de la monnaie, les calédoniens assistèrent donc au remplacement des anciennes pièces de monnaie et billets de banque, jugés refléter la colonie, par de nouvelles pièces et billets ressemblant beaucoup à la monnaie européenne, bien que continuant à s’appeler Francs CFP, démontrant que lorsque certains disent “non” au niveau local, en métropole en entend son contraire. Il convient de noter que l’appellation de Francs des Colonies Françaises du Pacifique (FCFP) demeure. C’est plus à ce niveau là qu’un changement aurait du avoir lieu, pour le remplacer par exemple par Francs de Kanaky-Nouvelle-Calédonie (FKNC) par exemple. Cet intitulé aurait d’ailleurs pu être utilisé pour l’intitulé de ce nouvel accord en lieu et place de Bougival.
Si de nombreux acteurs socio-économiques ont fait parti du voyage vers la métropole, l’accord comme le souligne certains d’entre eux reste très évasif sur ces sujets. Il est encore étonnant de lire page 11 sur le projet de société que celui s’appuiera sur la mise en œuvre de politiques ambitieuses en particulier en matière de santé, d’éducation, de formation, de lutte contre la vie chère, de préservation de l’environnement, … L’Etat compte-t-il une fois de plus intervenir dans des compétences qui ne sont pas les siennes, au travers de contrats de développement et ainsi poursuivre la main mise sur ces secteurs, continuant de faire de nos représentants des assistés, parfois consentants, pour les résultats que l’on connaît avec :
– une lutte inexistante contre la vie chère, faisant la part belle aux groupes commerciaux et de transports métropolitains au détriment de nos populations ultramarines. Alors que la mise en place d’un système de péréquation du prix des produits entre la métropole et l’outre-mer permettrait de rétablir la fameuse égalité chère aux jacobins français qui ne cessent de la crier à tout vent mais sans l’appliquer. Il convient de rappeler ici que le logement y est aussi cher qu’à Paris et que la nourriture coûte deux fois plus cher à Nouméa qu’à Paris (cf. CHAPPELL David, Le réveil Kanak, La montée du nationalisme en Nouvelle-Calédonie, UNC-Madrépores, 2017, p.270). L’Etat permettant à ses compatriotes, via l’indexation (sur rémunération) de palier à cette cherté qui l’entretien par la même occasion mais pas pour les populations locales ;
– une préservation de l’environnement qui laisse sceptique. L‘autorisation accordée par l’Etat actionnaire dans l’entreprise métallurgique la SLN du groupe Eramet à installer une centrale fonctionnant au combustible au sein même de la capitale parce que cette dernière refusait de payer une énergie renouvelable propre déjà existante avec le barrage de Yaté voir compléter avec une centrale solaire, en est le parfait exemple. Le fait ici que la NC soit compétente en matière environnementale arrange bien les affaires de l’Etat qui lui permet de ne pas l’inclure dans son bilan au niveau du protocole de Kyoto;
– et en matière de santé, le choix d’investir dans le bâti plutôt que dans la formation humaine localement de médecins reflète bien une mentalité de domination, avec une sorte de chantage qui pourrait être avancé en cas de rébellion face à l’Etat, de réduire le système de soins. L’envoi majoritairement d’internes n’ayant pas d’attaches avec le territoire, l’impossibilité de faire venir des médecins étrangers jusqu’il y a peu, qui pourtant foisonnent en métropole, la non transformation du CHT en Centre Hospitalier Régional Universitaire (CHRU) pour permettre les formations localement, en sont le parfait exemple. Il convient de rappeler ici le coût du Médipôle de NC chiffré au départ aux environs de 40 milliards et qui dépassa les 50 milliards et pas à un seul milliard pour la formation.
Il est étonnant que l’Etat se propose, en page 10 d’aider, à assainir les finances publiques pour arriver entre autre à un retour à la soutenabilité de la dette, dans la mesure où il est à l’origine de la dégradation de celle-ci via la détérioration du tissu économique suite à l’insurrection dont l’Etat est la cause. Et même bien avant cela, avec l’autorisation d’emprunt illimité durant la période des 3 référendums. A moins d’être né d’hier comme dit l’expression, les calédoniens ne sont pas dupes. Cette pratique étant courante de la part de l’Etat. L’exemple de mururoa pour ne citer que celui-ci, où l’argent à coulé à flots afin de faire accepter les essais nucléaires, se passe de commentaires. L’exemple également de la crise du covid-19 est lui aussi parlant. L’Etat refusant jusqu’à cet accord de Bougival la transformation de l’emprunt pour l’aide apportée en subvention, permettant ainsi à beaucoup de voir les limites de la solidarité française. Si les élus locaux avaient su cela avant, il est clair qu’une autre option moins onéreuse comme affréter des avions directement pour la Chine et les Etats-Unis afin d’acheter directement à la sortie des usines, les masques et vaccins, aurait été prise et coûté moins cher, quitte à les payer au prix fort.
Enfin le dernier point, page 11, mais non des moindres revient au secteur du Nickel, principale exportation et source de revenu du territoire et pour la France. Là encore, l’association s’étonne que ce volet apparaisse car étant une fois de plus une compétence de la NC. Le fait que l’Etat veuille revoir le code minier et le schéma de mise en valeur des ressources minières instaurés par le Congrès de la NC en dit long sur ses intentions qui d’ailleurs ne les cache plus énonçant que cette ressource est stratégique pour la souveraineté industrielle française et européenne. La ressource a même été inscrite comme tel dans un document de l’union européenne avant même le sommet de Bougival. S’il est vrai que les indépendantistes ont fait savoir que l’union européenne pouvait s’avérer être un partenaire pour son nickel principalement exporté vers l’Asie actuellement, il est clair pour l’association qu’avec la France comme intermédiaire cela risque d’être au détriment de la NC. Cette dernière préférant acheter à l’instar de la banane moins chère de la Côte d’ivoire plutôt que celle des Antilles, le Nickel bas coût d’Indonésie où l’entreprise française Eramet s’est installée avec son partenaire chinois, en grande partie grâce aux revenus du Nickel calédonien, pour y produire au sein de la plus grande mine de Nickel au monde, une ressource à faible coût comparé à la NC. Le seul intérêt de conserver la SLN française étant pour l’Etat de conserver le moteur économique du pays et la main mise sur l’ensemble de l’économie au sein du giron France. Le rejet d’un repreneur chinois pour l’entreprise du Nord, aux mains des indépendantistes, préférant pour l’heure un concurrent indien semble allez là encore dans les intérêts de la France, afin de renforcer son fameux axe indopacifique, où l’Inde rappelons le fait également parti du groupe fondateur des BRICS. L’association estime par ailleurs que ce serait à la NC de négocier et d’effectuer le choix de son repreneur et non à l’Etat français.
On comprend ainsi au niveau socio-économique que les intérêts de la NC ne sont pas forcément les mêmes que ceux de la France.
Pour conclure, nous espérons que ce nouvel accord sera comme l’ont qualifié ses signataires : un “pari de la confiance” même si leurs conceptions de l’avenir du futur Etat demeure encore diamétralement opposé comme le rappel l’universitaire Eric Descheemaeker, dans l’article suivant :
ou encore L’accord de Bougival : un pari immensément risqué | Conflits : Revue de Géopolitique
L’association note enfin pour finir que cet accord ne fait dans sa version actuelle aucune mention d’une quelconque amnistie pour les personnes, victimes malgré elles des émeutes, qui ont été amené à faire ce qu’elles n’auraient jamais penser un jour devoir faire, et toujours emprisonnées pour nombre d’entre elles.
En vous souhaitant une bonne lecture et en vous rappelant que le fédéralisme est la seule solution pour concilier l’unité dans la diversité.
L’association APROFED.
