Bien que qualifié de marotte1, par certains soutiens indépendantistes, le fédéralisme constitue au contraire la seule solution regroupant l’ensemble des visions proposées à ce jour par les différents mouvements politiques concernant l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, même les plus opposées qui sont : pour ou contre l’indépendance.
Le professeur Philippe Ardant, constitutionaliste français, déclarait concernant le fédéralisme que celui-ci s’adapte particulièrement au pays sur le territoire desquels vivent des populations de races, de religions, de langues différentes, chacune ayant son histoire propre […] Le fédéralisme permet aux minorités de s’auto-administrer largement dans le respect de leur coutume2.
Concernant la Nouvelle-Calédonie, Florence Faberon, professeur à l’Université de Guyane en 2015, stipule que la solution fédérale n’oppose pas les camps les uns contre les autres. Au contraire, elle permet de relier les revendications de chacun : un Etat pour les indépendantistes, un maintien dans la France pour les non indépendantistes.
En effet, en commençant par les non indépendantistes les plus radicaux ayant le soutien de l’Etat, partisan du maintien d’une Nouvelle-Calédonie ancrée à jamais au sein de la République française, la mise en place d’un statut fédéré permettrait de repousser à nouveau l’échéance fatidique de l’indépendance et d’éviter ce dont redoute le plus l’Etat, à savoir un “effet domino” qui entrainerait d’autres territoires ultra-marins à réclamer eux-aussi la pleine souveraineté.
Pour les non-indépendantistes modérés, qualifiés d’autonomistes, le statut fédéral permettrait de proposer pour les 30 à 50 ans, un nouveau statut venant remplacer celui des accords de paix de Nouméa de 1998 arrivé à échéance et ainsi continuer d’avancer sur un statut dit de projet qui ferait consensus avant tout autre évolution. Un référendum de projet devait avoir lieu avant la fin 20233 à ce sujet. Malheureusement les parties n’ayant toujours pas trouvé d’accord, celui-ci a été repoussé4 puis annulé5 6 pour l’heure.
Pour les centristes, un nouveau statut permettrait de poursuivre le développement de la Nouvelle-Calédonie sur une durée identique à celle proposé par les autonomistes, dont l’objectif serait de former des calédonien(ne)s dans des secteurs jusqu’ici réservés à l’Etat que sont les domaines régaliens (justice, sécurité intérieur, …) dans l’optique d’une éventuelle évolution une fois le délai de 30 à 50 ans écoulé.
Du côté des indépendantistes modérés, un statut fédéral / fédéré entre la France et la Nouvelle-Calédonie permettrait la création d’un Etat pour ce territoire ultra-marin. Les kanaks ayant déjà fait savoir que tout projet qui serait proposé ne présentant pas la création d’un Etat serait à leurs yeux nul et non avenu. La Nouvelle-Calédonie ayant déjà le pouvoir législatif et exécutif et afin de respecter les principes de Montesquieu, la création d’un Etat consisterait à récupérer le pouvoir judiciaire, en plus des deux premiers, et par la même son bras armé que sont les forces de l’ordre (police, gendarmerie), l’un n’allant pas sans l’autre. Les autres compétences régaliennes (armée, diplomatie, monnaie) demeurant à l’Etat français, revenant ainsi aux bases de ce que aurait dû être la colonisation, à savoir un protectorat7 ou dominion chez les britanniques. Pour rappel, les britanniques, pour administrer leur immense empire colonial, préférait laisser en place les institutions existantes et y ajouter un conseiller britannique plutôt que de tout remplacer par une administration coloniale. La France préférait pour sa part une administration directe, éliminant ou dévalorisant les anciennes monarchies indigènes et y exerçant toutes les responsabilités et centralisant tous les pouvoirs. L’élimination et le remplacement des anciennes élites étant à l’origine de l’instabilité politique lors de la création de ces nouveaux Etats, une fois ceux-ci indépendants. Si ce principe de retour au protectorat peut se rapprocher de “l’Etat associé” prôné par certains indépendantistes, il convient bien de distinguer les notions “d’Etat-associé”, “Etat fédéré” et “d’indépendance-association” afin d’éviter toutes mégardes. Si l’Etat-associé et l’Etat fédéré peuvent être proches selon l’ancien garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas8, leur proximité ne s’entend ici que par le fait qu’ils soient tous les deux non-souverains. La souveraineté étant rattaché à l’exercice des compétences régaliennes et demeurant ici à la France, se distinguant ainsi de la notion d’indépendance-association que certains indépendantistes prônent , qui vise à récupérer les compétences régaliennes pour ensuite nouer des partenariats avec la France voir d’autres Etats pour l’installation par exemple de bases militaires, … La France et les non indépendantistes ne souhaitant pas cette option, il est dès lors peu probable que celle-ci aboutisse, à l’inverse de l’Etat fédéré mais non souverain.
La souveraineté se retrouvant, une fois la compétence judiciaire récupérée, dans le fait de récupérer également la compétence liée à l’article 27 de la loi organique de 1999. Cela afin que les organes exécutifs calédoniens et les actes administratifs émis par ceux-ci ne soient plus soumis au contrôle de légalité de l’Etat obtenant ainsi des autorités administratives calédoniennes indépendantes de l’Etat. Puis, il conviendra de demander à ce que les lois de pays propres aux compétences calédoniennes ne soient plus soumises pour avis et contrôle de l’Etat, ni par le conseil d’Etat, ni par le conseil constitutionnel, comme on pu le faire nos voisins anglo-saxons que sont l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada vis-à-vis du Royaume-Uni qui leur reconnut notamment par le traité de Westminster9 la souveraineté législative. La Nouvelle-Calédonie deviendrait ainsi « indépendante » et « souveraine » sur ses propres compétences (tourisme, mines, enseignement, agriculture, santé, …). L’Etat restant souverain sur ses compétences régaliennes. De ce fait, le corps électoral resterait “figé” avec la création a minima d’une citoyenneté voir d’une binationalité calédonienne et française. Le droit à l’auto-détermination demeurant également selon les principes de l’ONU car le statut d’Etat fédéré présenté ici relèverait dans un premier temps d’un prolongement des accords de paix, prolongeant lui aussi le statut sui generis de la Nouvelle-Calédonie dans la constitution française, jusqu’au demeurant d’une indépendance ou d’un maintien dans la France via ce système fédéral.
Il convient de noter qu’entre 2035 et 2053, la Nouvelle-Calédonie atteindra la durée moyenne mondiale de colonisation par un Etat européen se situant entre 182 et 200 ans. Ainsi, la décolonisation commençant au premier jour de la colonisation, la notion justifiée d’indépendance devra inévitablement être traitée, d’autant plus que l’année 2053 marquera le bicentenaire de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France. L’Etat fédéré apporte ainsi une première solution pacifique à cette revendication, reste à la France que certains qualifie de “fédération qui s’ignore10” de saisir l’opportunité afin de ne plus voir la Nouvelle-Calédonie comme une menace.
Si certains estiment qu’il ne peut y avoir d’Etats fédérés à 2 avec un grand pays d’un côté et un petit de l’autre11, des experts institutionnels affirment le contraire comme Florence Faberon affirmant que la construction d’une France sachant concilier sa nature unitaire et un caractère fédéral à l’égard d’un seul Etat membre (la Nouvelle-Calédonie) est juridiquement possible. Toutefois, si l’unicité de la proposition d’Etat fédéré viendrait à poser un problème, la France peut très bien étendre la notion de fédéralisme à l’ensemble de l’outre-mer français comme l’avait fait le général de Gaulle avec la Communauté française notamment pour les pays d’Afrique. Il conviendrait peut-être à ce titre de réactiver les articles 78 et suivants de la Constitution en vue de restaurer une Communauté cette fois-ci ultramarine avec cependant l’avis auparavant des populations outre-mer sur la rédaction et le mode de fonctionnement de cette Communauté afin d’éviter les erreurs commises il y a 60 ans.
En 2022, les présidents des différentes régions ultra-marines de France (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion, Mayotte, St-Martin), au vu des inégalités de plus en plus criantes au sein de leurs territoires et d’une pauvreté croissante, ont, au travers d’une lettre ouverte commune intitulée « l’Appel de Fort de France » adressée à l’Etat, demandé d’ouvrir d’urgence une nouvelle étape historique pour les territoires d’outre-mer, via la refonte des relations entre leurs territoires et la République au travers d’un nouveau cadre constitutionnel pour les outremers dans la France, permettant la mise en œuvre de politiques publiques conformes aux réalités, la reconnaissance de leurs spécificités et la domiciliation des leviers de décision au plus près de leurs territoires (cf. Appel de Fort-de-France : des élus d’Outre-mer appellent l’État à changer sa politique d’aide – Outre-mer la 1ère (francetvinfo.fr))
Pour en revenir à la Nouvelle-Calédonie, il a souvent été donné l’image de porte-avions français dans le Pacifique faisant du territoire une vitrine de la culture française et de la francophonie dans cette région. Cette relation souvent unilatéral, de la métropole vers le “Caillou”12, pourrait avec cette notion de fédéralisme être inversée faisant ainsi en effet de la Nouvelle-Calédonie un porte-avions en direction non plus du Pacifique mais de la métropole elle-même et des autres territoires ultra-marins en proposant à ce vieux pays, la France, d’un vieux continent13, d’évoluer d’un statut unitaire, centralisateur vers un statut fédéral aussi bien pour ces outremers mais aussi pour ces régions métropolitaines, pensées à l’origine par des fédéralistes, pour devenir un “pays neuf”, à l’instar de ce que font de manière progressive ces voisins que sont l’Espagne14 et l’Italie15 16.
Pour rappel, cette vision fédérale est l’une des 4 solutions proposées par les experts Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien dans leur rapport rendu au premier ministre de la république française en 2014 sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, développée au sein de la rubrique « autonomie étendue » (cf. Téléchargements – APROFED)
Pour résumé, le projet d’Etat fédéré calédonien viserait à :
– permettre un maintien dans la France pour une durée déterminée,
– proposer un nouveau statut de 30 ans,
– permettre la création d’un Etat, donc d’une citoyenneté et une nationalité,
– obtenir une souveraineté législative,
– obtenir des autorités administratives indépendantes,
– récupérer le pouvoir judiciaire et la sécurité publique,
– laisser à l’Etat français les compétences régaliennes (armée, monnaie, diplomatie)
– rediscuter d’indépendance à partir de 2035 pour l’acquérir au plus tard en 2053.
1 CHAUCHAT Louise & Mathias, 2020, Le sens du “Oui”, Essai, 296p.
2 ARDANT Philippe, 1997, Institutions politiques et droit constitutionnel, manuel, 36p.
3 Nouvelle-Calédonie : un an après le référendum, quelles perspectives ? | Conflits : Revue de Géopolitique (revueconflits.com)
4 Report du référendum de projet : les clarifications et les réactions – Nouvelle-Calédonie la 1ère (francetvinfo.fr)
5 Nouvelle-Calédonie : Gérald Darmanin exclut la tenue du « référendum de projet » en 2023 – Public Sénat (publicsenat.fr)
6 Nouvelle-Calédonie : malgré l’annonce, il n’y aura pas de référendum sur le cadre juridique en juin 2023 – Le Parisien
9 En 1931 pour le Canada, en 1942 pour l’Australie et 1947 pour la Nouvelle-Zélande.
10 MICHALON Thierry, 2009. L’outre-mer français. Évolution institutionnelle et affirmations identitaires, Paris, L’Harmattan, coll. Grale, 162 p
11 Propos de Sonia Backès s’exprimant en qualité de présidente des Républicains calédoniens à l’Université de la Nouvelle-Calédonie en 2018
12 Nom donné à la Nouvelle-Calédonie par ses habitants.
13 Extrait du discours de Dominique de Villepin aux Nations Unies en 2003